5/31/2007

Universel particulier

- Concrètement:

Le 15 janvier 2007, mon père est mort.

Depuis cette date, j’ai commencé le processus de deuil.

Je fais mon deuil.

- Techniquement théorique:

Cinq phases.

MORT / choc / déni – cognitif, émotionnel, autres expressions (suractivité, substitutions, recherche d’un coupable…)

EXPRESSION DES EMOTIONS / peur / colère (différence, isolement…) / tristesse (états dépressifs) / culpabilité (réactivation de la «pensée magique» de l’enfant) / libération (de la peur du malheur et des dangers qui menaçaient la vie) / acceptation (pleine conscience de la perte, pleurs et lamentations, puis sentiment de paix)

ACCOMPLISSEMENT DES TACHES (terminer les dialogues – écrire – classer les photos, ranger les affaires…)

HERITAGE

OUVERTURE VERS LE FUTUR

Mort figurant le premier mouvement, expression des émotions le deuxième, accomplissement des tâches, héritage et ouverture vers le futur le troisième.

- Constats:

Primo. A priori, on veut croire le schéma basique. Il s’agit d’aller de A «premier mouvement» à Z «troisième mouvement», en suivant consciencieusement toutes les étapes, et le deuil sera fait.

Deuzio. A posteriori, dès que l’on est impliqué, cela ne tient plus. On le comprend soudain parce qu’on le vit, au quotidien et dans ses tripes. A se recroqueviller de peur, non, non, je ne veux pas sortir de l’armoire, à se révolter de colère, mais qu’ils aillent tous se faire foutre, personne ne me comprend, pour retourner dans le déni, rien ne s’est produit, c’est juste un cauchemar, je vais me réveiller, à retomber dans la tristesse, les sanglots ravageurs du petit matin, dans la culpabilité, est-ce moi qui l’ai tué avec mon obsession à m’affirmer autonome? On virevolte d’un mouvement à l’autre, se raccroche à l’idée que c’est un processus, que par là il faut passer, obligation incontournable, pour faire son deuil.

Tertio. Le temps. Voilà bien une notion d’apparence universelle. Puis non, autre paramètre qui ne tient plus. La mort, dans son acception concrète – le 15 janvier 2007 à 01h05 – est l’unique point fixe. Avant, le décalage se faisait déjà sentir, mais on se serrait les coudes pour le malade, ou pour tout autre raison (in)dicible. Après. Après, littéralement, ça se délite. Après, le temps fout le camp. Explosion. Dispersion. Chacun gicle dans son propre espace, sur sa propre ligne. Chacun découvre sa propre quatrième dimension. Et comme le temps continue, étrangement, de s’écouler, le décalage s’accentue. Décalage temporel qui menace de déborder à tous les niveaux, dans tous les domaines.

Quarto. Autrui. Bien que l’on soit seul dans son cheminement, on n’est pas seul au quotidien. Heureusement. Oui mais. Accepter le temps qui va comme bon lui semble, assumer l’impuissance que l’on éprouve à son état, (re)découvrir le sens du mot (im)patience, et gérer là au milieu les entrées multiples des proches, de ceux que l’on aime? Sachant que plus ils sont proches, plus on les aime, plus les points d’ancrage sont nombreux et intenses, plus l’arbre du début mathématique se mue en buisson ardent.

Quinto. Faire son deuil, c’est régresser à l’enfant que l’on était. Pas l’enfant que l’on a voulu être. L’enfant primaire, avec ses désirs immédiats et son intolérance absolue à la frustration. Très éloigné de l’image que l’on avait colportée au fil des années. C’est se confronter à la pré-civilisation, aux instincts archaïques, antédiluviens. C’est se retrancher dans sa caverne, un gourdin à la main, pour protéger son existence. C’est «better you than me», plutôt toi que moi, pour autant que ça me permette de survivre. C’est comme ça et c’est insupportable, tant se heurtent la préservation de soi et le soin de l’autre. Le décalage s’approfondit, au cœur même de la personnalité, de l’identité.

Sexto. Faire son deuil, on savait que ce serait dur. On croyait qu’il y aurait de la douleur et du manque, et un cheminement à accomplir. Faire son deuil, c’est foutrement plus complexe. Une sacrée salade où se mélangent le ressenti, le rationnel, le présent, les pas au jour le jour, le passé, le vécu, les expériences, subies ou digérées, l’éducation, où remonte à coup sûr ce que l’on n’a pas résolu, et autrui, l’interaction avec les autres, cette complication qui n’en est pas une, cette présence si précieuse dans l’absence, cette présence qui le serait même si l’absence n’était pas.

Septo. Faire son deuil suppose une route à suivre dans le temps. Peu importe que la route ne soit pas linéaire, peu importe que le temps n’en fasse qu’à sa tête. L’essentiel n’est pas de se définir une logique à tout prix. L’essentiel n’est pas d’imposer un timing au chaos. L’essentiel, y compris quand l’univers entier chasse d’un côté de l’autre, quand on hésite sans le vouloir entre un mouvement et un autre, est de se définir des priorités immédiates.

Octo. Mon père est mort. Mon père appartient au monde des morts. Je suis vivante. J’appartiens au monde des vivants. J’ai énormément aimé mon papa. Je l’aime toujours énormément. Mais j’aime aussi énormément des personnes vivantes, qui me le rendent bien. C’est envers elles que j’ai envie de soigner le lien. C’est pour ces personnes vivantes que je ne vais pas considérer le 15 janvier 2007 comme une fatalité. Que je vais me battre, que j’espère que nous nous battrons ensemble, pour un avenir commun. C’est pour moi. Et papa ne l’aurait pas souhaité autrement.

Conclusion. Le deuil est une saloperie universelle hyper-personnalisée. Qu’un jour ou l’autre on en arrive sûrement à envisager comme un enrichissement. Que l’on espère, sans naïveté, universel.

5/26/2007

144

Un hélicoptère de la Rega survole mon immeuble. 12h44. Bourdon des pales. Une pensée pour la personne que l’on héliporte sur le ciel voilé de mai, ici et là quelques rayons de soleil, jour blanc. Hélicoptère = urgences = danger de mort. Non, je n’ai pas attendu la disparition de mon père pour avoir ce genre d’idées. Il y a longtemps que ça me traverse, auparavant. Comme un lien avec celui/celle que l’on transporte. Comme un lien avec celui/celle, jeune, vieux/vieille, qui va se confronter à la fin. Comme un frère, bien qu’inconnu, une sœur.

Les mots reflètent-ils la réalité? Sont-ils le miroir de l’âme? Un mot noir dit-il désespoir? Ou au contraire sublimation?

L’hélicoptère, bien que froidement mécanique, m’envole.

5/24/2007

Inébranlabldémantelé


Berlin Wall, 1992
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Balade. Ballade. Quand les plus radicaux des murs...

Le gardien / 1

Lorsque j’étais gamine, je partageais une chambre avec ma petite sœur. Là étaient rangés mes jouets, là je dormais. Mais mon véritable royaume se trouvait ailleurs. Hors de l’appartement, à l’étage au-dessus, dans ce que nous appelions la chambre haute. Tous pensaient qu’il s’agissait d’une bête chambre d’amis réservée aux hôtes de passage. Je savais autrement.

Il suffisait d’avoir le mot de passe. Pour ceux qui ne le possédaient pas, la porte de bois ouvrait sur une pièce avec un lit, un bureau d’écolier, une penderie et un balcon donnant sur le jardin. Mes parents l’utilisaient comme appendice au grenier. Pour moi qui connaissais le mot de passe par cœur, c’était tout différent.

La porte de chêne massif aux enluminures cuivrées n’était que le seuil d’un véritable palace. Des salles et des salles en enfilade, évoluant au gré de mes humeurs. Couleurs, formes, rumeurs, musiques, textures, saveurs, parfums, fragrances – une seule pensée, je les modifiais à volonté. Et toujours, quel que soit le décor, ma réalité du moment, une constante: la machine à écrire mécanique de mon père. Noire, imposante. Evidente. Légère à la fois, de ses rubans de tissu violet. Quelle que soit ma réalité du moment, je ne repartais jamais sans y avoir tenté un ou deux doigts. Impressionnée de la marque qui en subsistait. Effrayée un peu. Fascinée.

Dans la chambre haute , j’avais créé la chambre de mes secrets. Bâtissant, construisant. Les fondations solides. Les frondaisons fertiles. Les floraisons gourmandes. De cet univers privé je ne me montrais pas égoïste. Prête à accompagner qui me le demanderait. Personne ne me le demandait. Alors je tapotais sur la machine à écrire, jusqu’à ce qu’un jour peut-être on me le demande. Je crois que j’étais heureuse.

Puis.

Un mois de juillet, elle a déboulé. A grand fracas de corps étiaffé sur le bitume, d’os pulvérisés. De sang éclaboussé. Nez, bouche, oreilles. Yeux. Cataractes sanguinolentes. Marée inhumaine. En quelques secondes, notre appartement, englouti. Mes parents, noyés. Ma petite sœur, trop petite, emportée. Couchée dans mon lit, j’écoutais mon père pleurer.

J’ai su alors que j’étais seule. Que je ne pouvais compter que sur moi-même. Que je ne devais compter que sur moi-même. Le sang montait, montait. Surtout ne pas pleurer. Ne pas ajouter à l’inondation. Parer au plus pressé. Juste avant que mes parents ne disparaissent, j’ai grimpé quatre à quatre vers la chambre haute. La porte massive, le mot de passe n’étaient plus suffisants pour contrer l’invasion du sang. Le moindre interstice, la moindre faille, il s’infiltrerait et ce serait terminé. Définitivement. Il me fallait une solution aussi radicale que son intransigeance.

Ce jour-là, j’ai invoqué le gardien. Incorruptible, il ne devait laisser entrer que ceux qui pourraient prononcer le mot de passe. «Répète après moi: pour entrer, vous devez posséder le mot de passe, c’est la règle.» «Pour entrer, vous devez posséder le mot de passe, c’est la règle.» Je me suis assurée qu’il ne transigerait pas, et je suis redescendue.

Malgré ces précautions, je n’ai pas réussi à m’apaiser. Ce mécanisme de défense, une personne serait encore capable de le violer. Moi. Et si j’étais contaminée par le sang? Et si je devenais comme elle, dévoreuse? Dans un appartement englué de sa présence mauvaise, entourée de zombies à ses ordres, il n’était pas dit que je parviendrais à résister. Il était certain que je finirais par céder. Il me fallait une solution plus radicale encore. Il me fallait oublier le mot de passe.

Ça n’a pas été facile, mais j’y suis arrivée. Je me suis coupée de la chambre haute. Je me suis forcée à ne plus y aller, bien que j’en avais envie, besoin. Bien qu’elle me manquait, terriblement. J’y suis tellement arrivée que six ans durant, j’ai tout oublié.

Puis.

Une camarade de classe à l’école secondaire m’a raconté qu’elle tenait un journal intime. Idée sympathique. Séduisante. Je suis rentrée dans notre nouvel appartement. Me suis assise au bureau de ma nouvelle chambre, que je ne partageais plus avec ma sœur. Ai ouvert un cahier scolaire quadrillé. Prénommé «Didi». Je me suis lancée. «Mon cher journal.»

Idée troublante. Chaque fois que je posais ma plume. Je. J’y revenais le soir suivant. Chaque fois. Je notais les banalités essentielles de ma vie quotidienne. Je. Etranges visions. Une porte en chêne massif, aux enluminures cuivrées. Je posais ma plume, y revenais le soir suivant. Je. Visions persistantes. Chaque fois. Perturbée d’abord. Déstabilisée. Curieuse. Ensuite. Derrière la porte. Quoi, derrière cette porte? Plus je gribouillais dans mon cahier, plus la plus porte se concrétisait. Je. Ma porte? Je ne savais pas. Chaque fois que je posais ma plume, j’avais envie de savoir. De voir.

Un soir. La porte devant moi. Devant la porte, le gardien. «Le mot de passe, je vous prie?» «Le mot de passe, c’est…»

Il m’attrape. Par derrière. Il m’enlace. Quelque chose ne colle pas. Je le sens. Immédiatement. Viscéralement. Il me parle. Chuchote. Sourde. Raidie. Figée. Ses mains. Un ou deux mots franchissent la barrière. «Tu aimes ce que je te fais?» Tu aimes, tu aimes, tu aimes, ce que je te fais, te fais, te fais. Muette. «Non non non.» NON! Muette. Ses mains chiffonnent la jolie robe estivale. Jaune canari, motifs et ceinture plastique rouge pétant. Mes pieds se recroquevillent dans les espadrilles crème, la lanière me mord les chevilles. Maman est dans la pièce d’à-côté. Maman! J’essaie de crier. Muette. Seules ses mains parlent. Des mots que je ne connais pas, que je ne dois pas connaître, ne veux pas. Quelque part sous la robe jaune canari. Sur la peau rosée. Grisâtre. Grise. Noirâtre. Noire. Ses mains quittent la peau sclérosée. «Tu aimerais, ce soir?…» Un minuscule «non», gargouillé. Une fuite. Personne pour me soutenir. Ni maman. Ni papa. Je ne dois pas. Je n’ai pas le droit. Et de toute façon, personne ne me croira.

«Le mot de passe, je vous prie?» Je l’avais sur le bout de la langue. A portée de main. Une langue, une main, des mains. Un corps. Un corps qui ne m’appartient plus. Et le voleur court toujours.

Des années plus tard, je l’ai dénoncé à la police. J’en ai parlé à mon père. Il a remis l’église au milieu du village. A redessiné les limites entre ce qui se fait et ne se fait pas. Entre le bien et le mal. M’a redonné ma dignité. M’a permis de récupérer ce corps que l’on m’avait volé. Le criminel n’a pas été puni, confronté il a même nié. Mais moi, j’avais ma justice. Moi j’avais la justice, et il ne m’en fallait pas plus pour revivre.

Sauf que je ne retrouvais toujours pas le mot de passe. Tous les moyens. Tous les moyens, je les ai tentés. Développement personnel, intellectuel, physique, spirituel. J’ai tout essayé. Non sans succès. J’avançais, j’évoluais. Je m’approchais, en cercles progressifs, du centre. Au final, pourtant, je me confrontais à l’échec. Demeurait, à l’identique, un mur. Et devant ce mur, le gardien: «Le mot de passe, je vous prie?»

Les années se sont écoulées. J’ai tout essayé. A parlementer avec le gardien. «Tu ne me reconnais pas? Fais un effort de mémoire. C’est moi qui t’ai établi dans tes fonctions. Pour protéger la chambre haute, la chambre de mes secrets. J’en avais besoin alors, aujourd’hui j’ai besoin d’y retourner. Vraiment, concentre-toi, tu ne me reconnais pas?» Et toujours, cette fin de non recevoir: «Pour entrer, vous devez posséder le mot de passe, c’est la règle.»

De temps à autre j’accède à la chambre des secrets. Vagues rêves nocturnes, vagues traces diurnes le lendemain. Je ne baisse pas les bras. Travaille, travaille. Travaille. Cherche le chemin et, surtout, le déclic.

Et à écrire, parfois. Clic! Jusqu’à l’ensuite.

5/20/2007

Tic-tac, tic-tac

Un jour de janvier. Il fait beau. Le soleil étincelle sur les hauts de Neuchâtel. J’entrevois, ici et là, sur le balcon. Dans l’ensemble, je ne vois rien. Presque rien. La chambre, malgré le store ouvert sur la perspective du printemps, malgré le luminaire censé la mettre en évidence – la chambre, ce n’est que du sombre. Ce ne sont que des ténèbres. Je ne vois que: la montre de mon père. Signe du temps à son poignet. Insupportable. Pas juste une montre, pas juste le signe du temps. Et je demande, s’il vous plaît, qu’on la lui retire. Et je demande, s’il vous plaît, par pitié. Je demande qu’on lui ôte cette montre à son poignet. Cette montre qui n’est plus seulement le passage du temps, mais le symbole d’un compte à rebours. Tic-tac, tic-tac… Seconde après seconde. Je sais que c’est fini pour lui. Que tantôt ce sera fini. Mais, par pitié, pas cette montre à son poignet, tictaquant indépendante de son pouls.

La montre s’en est allée. Tic-tac, tic-tac… Il n’y avait plus que son cœur perdu en métronome.

Tic-tac. La seule chose que j’ai voulue de son héritage, c’était la montre qu’il portait au poignet lorsque j’étais enfant. Elle s’est arrêtée il y a des années. Et, tic-tac, tic-tac, elle bat toujours en mon cœur.

La question finale

Thème du journal du dimanche : «Pourquoi est-ce que l’on continue à faire des enfants?» Suite en page 67.

Page 67. Remise en contexte: l’arrivée d’un marmot, c’est presque toujours la crise assurée au sein d’un couple – joliment intitulée «baby clash». Dame, l’équivalent d’une nuit d’insomnie par semaine pendant plusieurs mois, ça se comprend. Sans compter les finances: de la naissance à ses 20 ans, un gosse coûte la bagatelle de 800.000 francs suisses (481.000 euros). Comme le disait une de mes connaissances: «Un enfant, c’est un facteur de paupérisation.» Et les habitudes qu’il faut réorganiser, le temps qui manque, en gros le cortège des obligations, et les prises de tête à deux sur qui fait quoi quand comment. Sans même parler du risque accru de familles monoparentales. Bref, excellente question : pourquoi est-ce qu’on continue à en faire, des mioches?

Page 69 (sic). Réponse du sociologue, thérapeute, spécialiste distingué : «Parce que nous sommes programmés pour.» Voilà voilà. Fernand Raynaud, sans rire: «C’est étudié pour.» Développement: «La vie se doit de se perpétuer. Sans quoi, c’est la mort.» Voilà voilà. Une lance en faveur du seigneur de La Palice. L’ensemble empaqueté d’un chapitre sur la décadence de nos temps post-modernes, mon bon monsieur, mais comment vit-on, tout fout le camp, je ne vous dis que ça. «Je constate, dans notre société, une fuite en avant vers l’individualisme, le nombrilisme, l’égoïsme. Or, faire un enfant, c’est à l’inverse un dépassement de soi.»

La vraie réponse, donc. On fait des gosses pour se dépasser soi-même. L’avais jamais entendue, celle-là. Je connaissais quelques classiques. Pour la gent féminine strictement: «Une femme qui ne devient pas mère ne sera jamais une femme à part entière» - quoi qu’on puisse croire de l’émancipation, cette sentence a encore un bel avenir devant elle, même si elle ne se susurre plus ouvertement, juste entre deux non-dits. Plus généralisé: «Si tu ne fais pas d’enfant, tu te retrouveras seul(e) à l’heure de la vieillesse.» Se passe de commentaire. Le pompon à un dialogue avec une collègue :

«Et toi, tu en veux, des enfants?»
«Je ne sais pas… je suppose que oui… il faudra bien…»
«Il faudra bien?»
«Ben oui, tout le monde en fait.»

Conclusion: malgré la lapalissade apparente, il semblerait que c’est l’instinct qui nous pousse à vouloir des enfants. Que nous sommes, bêtement – animalement – programmés pour. Pour perpétuer l’espèce.

L’égoïsme individualo-nombriliste de ne pas en avoir? Reprenant l’argument favori des adversaires de l’avortement: «On n’a pas demandé son avis à l’enfant à naître avant de mettre fin à ses jours potentiels.» Qu’on me rectifie si je me trompe, mais on ne demande pas non plus son avis à l’enfant à naître avant de le mettre au monde.

Ma raison de ne pas vouloir d’enfants: je n’ai jamais réussi à me convaincre que je leur donnerais la vie pour eux et non pour moi. C’est là, à mes yeux, que résiderait le véritable égoïsme.

Quant à la perpétuation de l’espèce. Je me rappelle une discussion à ce sujet avec mon cher papa. Argumentation très kantienne que la sienne: «Si tous réfléchissaient comme toi, ce serait la fin de l’humanité. Tu t’en fiches? Après toi le déluge?» Sincèrement? J’aime cette humanité dont je suis partie prenante. Mais pas au point d’en faire une cause sacrée et d’y sacrifier des têtes blondes.

J’ai toujours été contre la peine de mort. Donner naissance à un enfant, ce n’est finalement qu’agrandir la cohorte des condamnés en sursis.

5/19/2007

No comment


No comment
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Papa / Cox

"Je revois
Ton visage
Au loin

Je revois
Ton image
Qui me tient

Nous ne sommes
Que des hommes
De passage

Je revois
Ces chiens fous

Ce que je vois
Ce que je vois
C’est nous

Nous ne sommes
Que des hommes
De passage

Comme l’éclair
Comme l’éclair
D’un orage

Je t’appelais
Je t’appelais

Il y a des fois

Où la lumière s’éteint

Il y a des fois
Il y a des fois

Où l’on n’y peut rien

Nous ne sommes
Que des hommes
De passage

Comme l’éclair
Comme l’éclair
D’un orage

Je t’appelais
Je t’appelais

Je t’appelais
Tu t’appelais…"

Sébastien.

5/16/2007

Le paradis / intérieur


Le paradis / intérieur
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La pierre sauvage

Qui se souvient de l’histoire du raccourci abouti en enfer? Ce week-end, j’ai découvert l’inverse.

Le GPS nous a baladés des plombes. Une bonne heure pour parcourir les 17km annoncés sur le site internet. Mais quel détour. La Toscane en France. A mesure que nous grimpions, vignes collineuses, domaines viticoles offrant leur passagère tentation, maquis enfourragé, gibier furtif, points de vue décolletés de lupins.

Jusqu’au col des Enceints. Lieu-dit riche de promesses. Adieu frustrations. Adieu supplice de Tantale. Morts de faim, nous naissions au paradis. Parés pour l’incantation.

Terrine de Campagne au Thym
Salade de Saison et sa Tarte Chaude
Terrine de Poireaux au Sésame et aux Herbes
Cassolette d’Escargots Forestière
Filet de Truite et sa Vinaigrette de Légumes Tièdes
Tournedos de Canard aux Griottes, Crêpes Parmentier
Fromage du Pays
Fromage Blanc à la Crème
Choix de Desserts


Transsubstantiation enrobée d’un Hautes Côtes de Beaunes. Très typé Bourgogne, charpenté avec un bouquet fin, diversifié, arômes de fruits rouges et de sous-bois.

Si vous désirez participer à la messe, c’est ici que se célébrera le prochain office.

Amen

5/15/2007

Il y a mille ans


Cluny III
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Quand j'y étais
Quand j'y suis
Quand j'y serai
Quand
...

Ecclesia maior

Je ne crois pas à une vie après la mort. Ou avant la naissance. Je ne crois ni à la résurrection, ni à la réincarnation. Mais parfois, je suis très près de croire à la quatrième dimension.

Cluny, un dimanche de mai. La première et dernière fois que j’y suis allée, c’était il y a un quart de siècle. J’avais 15 ans. Une semaine avec ma classe de gymnase – une «semaine hors cadre», il me semble qu’on appelait ça – pour une tournée dans la Bourgogne du Moyen-Age. Ado au jour le jour dans un univers plus que moisi, de quoi s’emmerder ferme a priori. Et puis non. Autun, Tournus, Paray-le-Monial. Cluny. Surtout Cluny. Je suis tombée amoureuse. Follement.

Les années qui ont suivi, j’ai dévoré tout ce que je trouvais sur l’Abbaye, sur les Bénédictins, sur les ordres monastiques en général, sur l’époque elle-même. Sous tous les angles, toutes les coutures, de la religion au politique en passant par la vie quotidienne, du roman au livre d’Histoire, y compris les plus pointus, les plus rébarbatifs. J’ai tout englouti, tout adoré, en redemandant encore et encore. Mais jamais je ne suis retournée en Bourgogne. Jamais je ne suis retournée à Cluny. Jusqu’à dimanche.

A franchir les fortifications, j’ai éprouvé une étrange ferveur. Une ferveur nourrie en secret, indicible, de celles que l’on n’avoue pas aux descendants et partisans du soi-disant Siècle des Lumières. Aux tenants de l’Encyclopédie, cette nouvelle Bible des temps soi-disant modernes. Peut-être juste un tremolo dans la voix, un léger tremblement des mains. A mettre sur le compte de la fatigue du voyage et de la chaleur.

Pour la modique somme de 6,50 euros, me voilà catapultée mille ans en arrière. Vingt-cinq ans en arrière. Les deux. Ma mémoire s’amuse. Elle me propose des déjà-vu qui n’en sont pas. Aucun tour d’illusionniste, il s’agit bien de souvenirs réels. Rien que cela, c’est déjà vertigineux. Quelle est la part de mon passé qui dort dans l’oubli, occultée par cette conscience qui exige des rappels pragmatiques, des rappels utiles, des qui servent-à-quelque-chose? J’ai toujours affirmé que je me souviendrais de ce dont je me souviendrais, et tant pis pour le reste. Mais là, l’étendue des zones d’ombre me fait tituber. Suis-je vraiment celle que je pense être, ou est-ce que je ne me pense qu’en surface, superficielle? Laissant de côté, par facilité, par commodité, tout un pan de ma personnalité? Ivresse des profondeurs, je titube un peu.

On descend un escalier. Une autre rangée de marches. Une stèle. Les portes de l’église. Juste une plaque de pierre, et un plan. «Vous êtes ici.» Je m’apprête à pénétrer dans Cluny III. Levant les yeux, je ne distingue rien d’autre que des ruines, ou des anachronismes. Sur ma gauche, l’hôtel de Bourgogne. A environ cent mètre, sur ma droite, le clocher de l’Eau Bénite et la Tour de l’Horloge, ultimes hautes réminiscences. Je ne suis pas croyante, ne suis chrétienne que d’une éducation depuis longtemps reniée. Il n’y a, «ici», que des amas aussi moisis que lorsque j’avais 15 ans. Pourtant. A l’idée de pénétrer dans ce qui fut Cluny III, la ferveur me reprend de plus belle. Mon cœur joue la palpitante. Ma tête divague. Foin de fatigue, de chaleur. C’est dans un semi-sommeil que j’avance une jambe détachée de mon corps. Un corps qui s’avance, avec un temps de retard. Mille temps. Mille ans.

La visite débute par un film. A l’entrée, on distribue des lunettes spéciales. La foule se presse, groupes agglutinés et leurs guides. La moiteur est étouffante. Je me dégotte un petit coin entre deux femmes qui s’éventent d’un prospectus en se plaignant et un type qui tente de faire rire sa compagne qui se plaint itou. Les lumières s’éteignent. Curieuse, j’attends. J’ai lu à ce sujet sur le net, une réalisation en collaboration avec l’ENSAM. Quatre projecteurs et une bande sonore, une reproduction à l’échelle 1/1, pour donner au spectateur l’impression qu’il parcourt réellement Cluny III telle qu’elle était à sa période de gloire et de splendeur. Quand même Saint-Pierre de Rome ne végétait pas encore à l’état de projet. Quand même Saint-Pierre de Rome ne lui arriverait pas à la cheville. J’ai lu. J’attends. Le film commence. Ah, oui, ça a l’air pas mal. Plutôt bien fait. On s’y croirait. Historique. L’Abbaye, sa création. Les deux femmes derrière moi, le type et sa compagne s’estompent. L’église. L’aube est encore lointaine lorsque les moines se rassemblent pour les premières prières. Matines. Les portes s’ouvrent devant moi. Les vraies portes.

J’entre dans Cluny III. Laudes. Ma voix s’élève des ténèbres vers les voûtes que je devine. Prime. Le soleil s’infiltre par les vitraux, se brise, se reconstitue en multicolore. Elancée des piliers, si massifs, si aériens, ce lien entre la Terre et le Ciel. Tierce. La lumière se renforce, à choisir entre l’affirmation, le recueillement. Sexte. Une chapelle pour le privé de son cœur, le chœur illuminé. None. Quand l’astre repart dans l’autre sens, appelle au repos. Restent les stalles discrètes. Vêpres. Le soir tombe. La nuit. Il faut partir. Cluny III demeure. Accueillante à ceux qui hésitent. Complies. On se couche sur sa couche. L’âme en paix. Que monte le noir. Que monte le sombre. Que reviennent les ténèbres. Les questions. Les interrogations. Les craintes. Les angoisses. Que revienne le désespoir, son compère l’à quoi bon. Qu’ils reviennent, Cluny veille. Et on s’endort. En paix. Jusqu’au lendemain.

Je pleure. Larmes de joie. Béatitude. Fin du film.

J’ai pleuré. Traces de larmes sur mes joues. Les deux femmes derrière moi se réjouissent de sortir, le mec à côté redouble de gags pour faire rire sa compagne. Tous se plaignent. Je les ignore au maximum. Ils ne sont pas là. Je suis là, je suis ailleurs.

Fin de la visite. La Bourgogne retourne à son passé, au souvenir. Pour eux. Pas pour moi. J’ai vécu Cluny III, c’est une certitude. Et si je hais le fondamentalisme creux, c’est parce que j’ai connu le mysticisme d’alors. Cette spiritualité sans commune mesure. Sans obligation ni terminaison. Ni application concrète. Cette mystique qui n’engage que moi.

Lorsque j’étais moine à l’Abbaye. Attachée aux enluminures.

Dans la quatrième dimension.

A Cluny III.

5/11/2007

L'albatros

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Baudelaire / Les Fleurs du mal

Le cri


I was drawn by Munch !
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Crédit photo: urbanism

Ames sensibles, s'abstenir

Sa tête glissa lentement sur le côté. Il ferma les yeux. Exhala un long soupir. Et ce fut tout.

A moins que je n’aie raté un épisode, c’est toujours comme ça que les personnes en fin de vie meurent dans les films. «Personnes en fin de vie», n’est-ce pas que c’est délicat de formulation? Plus que délicat, c’est symptomatique du tabou qui règne autour de l’agonie.

Agonie.

Un petit test très simple consiste à entrer ce mot dans un moteur de recherche. Très peu de pages qui abordent le sujet concrètement. Comme si on parlait à foison de la maladie et de la mort qui la suit, mais pas de ce qu’il y a entre deux. Comme s’il n’y avait rien entre deux.

L’agonie de mon père… Peut-on imaginer qu’un jour on aura à écrire de tels mots?... L’agonie de mon père a duré trois jours, pour autant que je puisse en juger. Il y a d’abord eu une phase de pré-agonie. Il refusait de manger. Etait de plus en plus absent. Déjà loin de nous. Les seules paroles qu’il prononçait encore étaient «soif», «toilettes» - aller aux WC était devenu son obsession. La douleur de le voir conserver certains réflexes, comme de se laver les mains après, alors qu’il ne tenait plus debout. La douleur de le voir se soulager sur une chaise percée au su et au vu de tout le monde, alors qu’il était quelqu’un de si pudique. Ou alors il délirait. «Bon, les nanas», disait-il, «On y va? On rentre bientôt à la maison?» Une de ses autres obsessions était de vouloir absolument sortir de son lit. Certaines nuits, il lui est arrivé de se promener nu dans les couloirs de l’hôpital. Je remercie je ne sais qui de droit de n’avoir pas dû assister à ça. Puis il n’a plus pu se lever, a définitivement arrêté de parler. Il réagissait encore lorsqu’on s’adressait à lui, ou quand quelqu’un entrait dans la chambre. «Ah!», éructait-il en moulinant l’air, de ses bras et de ses jambes. Il ouvrait les yeux, mais ce n’était plus le regard de papa, c’était glauque, voilé. Et moi, je songeais au cri de Munch. Et moi, je songeais à l’albatros de Baudelaire. Et moi, j’avais tellement de peine à faire le lien entre ce ramassis de souffrances et mon père. Puis il n’a plus réagi du tout. L’agonie avait commencé.

Trois jours durant, il a fallu subir la dégradation ultime de cet homme que nous aimions tant. A prier, même si c’est difficilement assumable, pour que tout aille vite. Son système vital partait à vau-l’eau, en pleine débandade. Lorsque je posais ma tête contre sa poitrine, j’entendais son cœur battre avec la panique d’un petit oiseau prisonnier, qui se heurtait follement contre les barreaux. Il transpirait abondamment. Il puait. Cette odeur rance, mêlée à son parfum Hugo Boss qu’on continuait de lui appliquer après la toilette, je ne pense pas que je l’oublierai jamais. Il puait de la bouche. Le râle de l’agonie. Il n’évacuait plus les sécrétions, les glaires, qui s’accumulaient au fond de sa gorge. De temps à autre, nous devions quitter la chambre quand on lui faisait une «vidange». Petit à petit, sa respiration s’est mise à déconner. On nous avait avertis. Le signe que son cerveau perdait peu à peu le contrôle. Le signe d’une mort proche. Il inspirait, il expirait… et plus rien. Je voyais le visage angoissé de ma mère se pencher sur lui. Je comptais les secondes, une, deux, trois, quatre, cinq… jusqu’à quinze parfois. Puis il inspirait à nouveau. A mesure que les heures passaient, les pauses devenaient plus longues. Et le plus horrible à dire, c’est que même à ça, on s’y «habitue». Même à l’agonie, on s’habitue. Une intolérable habitude.

Il est mort en notre absence. Peut-être une ultime pudeur de sa part.

Je ne sais pas si sa tête a lentement glissé sur le côté, s’il a exhalé un dernier soupir. Ses yeux étaient déjà fermés, depuis longtemps. En tout cas maintenant, je sais ce qu’il y a «entre deux». Et je sais que, malgré la douleur, le dégoût, la terreur, pas une seule seconde je n'ai cessé de l'aimer.

5/10/2007

Les cancres, au fond, derrière

Il y a eu les générations peste, il y a les générations sida. J’ai grandi dans la génération cancer. Ça n’avait même pas de nom. Ainsi qu’on pouvait le lire dans les rubriques nécrologiques du journal local: «Il/elle nous a quittés après avoir lutté avec courage contre une longue maladie.» La Maladie, ce truc non défini mais très présent dans les familles. Comme un membre que personne ne désire accueillir chez soi et qui pourtant s’invite. Générateur d’angoisse diffuse, de non-dit, de tabou. De tant de questionnements sans réponse. Gamin, on gère comme on peut. Je me souviens m’être volontairement coincé les doigts dans la portière de la voiture et avoir pensé: «La douleur du cancer, c’est ça. En pire. Et elle ne s’arrête jamais.»

J’ai eu l’occasion de comprendre dernièrement qu’adulte, on ne gère pas mieux.

Tout a débuté par un bête mal de dos. Papa avait mal au dos. Maman lui faisait des massages. Papa avait toujours mal au dos. N’étant pas homme à se ruer chez le médecin, il a mis un certain temps avant de consulter. Le médecin, n’aimant pas trop ce qu’il pressentait, a conseillé une radio. De la radio à des examens complémentaires. A la biopsie. Le verdict est tombé au mois d’octobre.

Cancer de la plèvre.

Cancer de la quoi? Jamais entendu parler. Plus besoin désormais de posséder un dictionnaire médical ou d’avoir des connaissances qui travaillent dans le domaine. On trouve des renseignements à tout propos sur internet. Y compris sur le cancer de la plèvre.

Mésothéliome pleural malin, précisément. Enchantée, moi c’est Mafalda. Pas si effrayant, de prime abord. Mésothéliome pleural, ça avait un petit côté saule pleureur, un petit côté de nature familière. Malin un peu moins sympa, mais bon. Et quel était donc le traitement prévu pour ce type de cancer? Puisque, c’est bien connu, aujourd’hui, le cancer, ça se soigne. On le martèle suffisamment. Clic sur «traitement». Une nouvelle page s’ouvre. «Il n’existe malheureusement pas de traitement efficace pour ce cancer à l’heure actuelle.»

Ah. Là, c’est juste deux lettres. Dans la réalité, c’est un marteau qui jaillit de l’écran virtuel et vous fracasse la gueule. Pas de traitement efficace, pas de traitement efficace, à l’heure actuelle, à l'heure actuelle. A l’heure de maintenant, quand papa est malade.

La suite, c’est déjà dans un brouillard. «Espérance de vie»? On n’a pas envie de savoir, mais on veut savoir, on n’a pas envie, pas du tout envie de lire ce qu’on lit: cancer particulièrement agressif… la majorité des patients décèdent dans l’année qui suit le diagnostic…

Ah. Là, ce n’est plus des coups de marteau, c’est Hiroshima. Dans l’année qui suit le diagnostic. Nous sommes en octobre. Quand viendra octobre suivant papa devrait, selon toutes probabilités, être mort? Impossible. Impensable. Inconcevable. Tellement impossible impensable inconcevable qu’on envoie chier l’oncologue qui ne dit pas autrement, qui pronostique trois à six mois. Fuck you, connard! Tu ne sais pas de quoi tu parles ! Tu ne connais pas papa ! Il va se battre, et on va se battre avec lui!

Haïssable schizophrénie! On affirme qu’on va se battre, avec lui, et parallèlement, même si on se déteste pour ça, on n’a pas d’espoir. Tous crient haut et fort l’espoir, tous savent ce qu’il en est. Papa le premier. Tous font semblant. Et comment agir diversement?

Alors on y va. On fonce. On opère. Papa sans poumon gauche, gratté de la plèvre, sans diaphragme, sans péricarde, papa diminué, c’est encore papa. Papa vivant. Après, il y aura la radiothérapie, la chimiothérapie. Et même si plus personne n’évoque l’espoir de guérison, ce sera toujours papa vivant, papa parmi nous.

Papa vivant, c’est aussi papa qui souffre. Les conséquences de l’opération. Papa qui souffre toujours. On doute un peu. Papa qui n’arrête pas de souffrir. On doute plus fort. Papa qui retourne à l’hôpital en urgence. Le doute, intolérable. Papa qui passe un nouveau scanner. Métastases. Partout.

Ah. Hiroshima, en comparaison, c’est le jardin de l’espérance. Personne ne parle plus depuis longtemps de guérison, personne ne parle même plus de rémission. Papa va mourir. Nous le savons. Le sait-il ?

«Je suis foutu.»

Ah. Plus de mots. Un gouffre.

Branle-bas de combat. Dans l’urgence, on mobilise tout ce qu’on a pu apprendre, sans jamais le tester encore, de l’accompagnement en fin de vie. Dans l’urgence, on apprend à dire au revoir. Avec des paroles et des gestes d’amour. On le remercie de l’excellent père qu’il a été. Dans l’urgence, on apprend à dire adieu. Papa tombe dans le coma. Un dimanche, on quitte sa chambre d’hôpital en étant persuadée qu’on ne le reverra pas vivant.

01h20. Téléphone de la frangine. «Voilà.»

Voilà. Un résumé, pur et dur. Cru. A l’image du cancer de mon père. La pleine santé dans la force de l’âge, la Maladie, trois mois, la mort.

15 janvier 2007.

Après, c’est un autre travail qui commence.

Une autre vie.

Le retour

Après avoir hiberné tout l’hiver, Mafalda est de retour avec le printemps.

Qui dit printemps dit ménage. Hésitation, hésitation. Reprendre là où je m’étais interrompue, quelque part au mois de septembre? Faire table rase? Finalement, j’ai opté pour la seconde solution. Pas de nostalgie mal placée. L’objectif de ce blog n’a jamais été de me tenir lieu de mémoire. Radical, donc. Des 295 messages précédents, je ne me suis permis d’en garder qu’un seul dans mes archives. Tout le reste, pfuit, évanoui. J’ai joué à dieu – pour autant que dieu éprouve un délicieux titillement de culpabilité lorsqu’il clique sur delete.

Bienvenue, Mafalda. Sympa de te retrouver.