5/20/2007

La question finale

Thème du journal du dimanche : «Pourquoi est-ce que l’on continue à faire des enfants?» Suite en page 67.

Page 67. Remise en contexte: l’arrivée d’un marmot, c’est presque toujours la crise assurée au sein d’un couple – joliment intitulée «baby clash». Dame, l’équivalent d’une nuit d’insomnie par semaine pendant plusieurs mois, ça se comprend. Sans compter les finances: de la naissance à ses 20 ans, un gosse coûte la bagatelle de 800.000 francs suisses (481.000 euros). Comme le disait une de mes connaissances: «Un enfant, c’est un facteur de paupérisation.» Et les habitudes qu’il faut réorganiser, le temps qui manque, en gros le cortège des obligations, et les prises de tête à deux sur qui fait quoi quand comment. Sans même parler du risque accru de familles monoparentales. Bref, excellente question : pourquoi est-ce qu’on continue à en faire, des mioches?

Page 69 (sic). Réponse du sociologue, thérapeute, spécialiste distingué : «Parce que nous sommes programmés pour.» Voilà voilà. Fernand Raynaud, sans rire: «C’est étudié pour.» Développement: «La vie se doit de se perpétuer. Sans quoi, c’est la mort.» Voilà voilà. Une lance en faveur du seigneur de La Palice. L’ensemble empaqueté d’un chapitre sur la décadence de nos temps post-modernes, mon bon monsieur, mais comment vit-on, tout fout le camp, je ne vous dis que ça. «Je constate, dans notre société, une fuite en avant vers l’individualisme, le nombrilisme, l’égoïsme. Or, faire un enfant, c’est à l’inverse un dépassement de soi.»

La vraie réponse, donc. On fait des gosses pour se dépasser soi-même. L’avais jamais entendue, celle-là. Je connaissais quelques classiques. Pour la gent féminine strictement: «Une femme qui ne devient pas mère ne sera jamais une femme à part entière» - quoi qu’on puisse croire de l’émancipation, cette sentence a encore un bel avenir devant elle, même si elle ne se susurre plus ouvertement, juste entre deux non-dits. Plus généralisé: «Si tu ne fais pas d’enfant, tu te retrouveras seul(e) à l’heure de la vieillesse.» Se passe de commentaire. Le pompon à un dialogue avec une collègue :

«Et toi, tu en veux, des enfants?»
«Je ne sais pas… je suppose que oui… il faudra bien…»
«Il faudra bien?»
«Ben oui, tout le monde en fait.»

Conclusion: malgré la lapalissade apparente, il semblerait que c’est l’instinct qui nous pousse à vouloir des enfants. Que nous sommes, bêtement – animalement – programmés pour. Pour perpétuer l’espèce.

L’égoïsme individualo-nombriliste de ne pas en avoir? Reprenant l’argument favori des adversaires de l’avortement: «On n’a pas demandé son avis à l’enfant à naître avant de mettre fin à ses jours potentiels.» Qu’on me rectifie si je me trompe, mais on ne demande pas non plus son avis à l’enfant à naître avant de le mettre au monde.

Ma raison de ne pas vouloir d’enfants: je n’ai jamais réussi à me convaincre que je leur donnerais la vie pour eux et non pour moi. C’est là, à mes yeux, que résiderait le véritable égoïsme.

Quant à la perpétuation de l’espèce. Je me rappelle une discussion à ce sujet avec mon cher papa. Argumentation très kantienne que la sienne: «Si tous réfléchissaient comme toi, ce serait la fin de l’humanité. Tu t’en fiches? Après toi le déluge?» Sincèrement? J’aime cette humanité dont je suis partie prenante. Mais pas au point d’en faire une cause sacrée et d’y sacrifier des têtes blondes.

J’ai toujours été contre la peine de mort. Donner naissance à un enfant, ce n’est finalement qu’agrandir la cohorte des condamnés en sursis.