9/26/2007

Boulimie anorexique - et vice-versa

Aujourd’hui, au boulot, journée spéciale Pierre Bourdieu. Comment ça, «qui»? Mais Bourdieu, voyons, LE Bourdieu, le seul, le vrai, LE Maître, le sociologue visionnaire qui avait tout compris avant tout le monde. Non? Vous ne voyez toujours pas? Tant pis pour vous.

Nous du moins, journalistes patentés, avions droit à une journée spéciale. Ce qui tombe juste, vu que ce monsieur a notamment beaucoup réfléchi sur les médias. La journée n’étant pas obligatoire, il y a eu deux participants et demi. Dont je ne faisais pas partie. Autant le dire tout net: je trouve Bourdieu casse-couilles à chier (même si je n’en ai pas physiquement, putain, la vulgarité ça fait du bien parfois, c’est libératoire!). Non qu’il n’ait avancé de propos pertinents. Simplement parce qu’il m’est imbuvable, indigeste. Chaque fois que je me suis forcée à me pencher sur ses écrits, j’avais sous ma chaise en prévision de ces petits sacs en papier que l’on distribue généreusement dans les avions. Et chaque fois, je les ai largement utilisés. Alors aujourd’hui, la perspective de devoir en plus me taper les pieux discours de ses disciples adorateurs (les 2,5 cités ci-dessus)… heu, non merci, je suis au régime.

Dans le même ordre d’idée, l’Université d’été d’Attac s’est tenue dernièrement à Bienne. Son thème: le rôle des médias. Avec la rigueur qui me caractérise, je n’y suis pas allée. Que je me gave et me soûle deux jours durant? C’est bien connu: les matagrabolisations intello-intellectuelles, ça gonfle. Et, du coup, ce n’est pas bon pour mon régime.

Faisant une entorse à ma diète, j’ai tout de même accepté de discuter deux minutes le bout de gras avec l’organisateur de la journéespécialebourdieu (un principal parmi les 2,5), qui logiquement était retourné sur les bancs de l’école. Au demeurant un collègue fort sympathique, que je respecte – du genre «Je ne suis pas d’accord avec vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer.» Dernière recette en date: la télévision publique suisse devrait accepter de signer une charte selon laquelle elle s’engagerait à ne relayer que de l’information sérieuse. N’est-ce pas que cela semble relever du meilleur sens, exprimé de la sorte? Là où ça se corse, c’est lorsqu’en cuisinière avisée on demande les ingrédients concrets de la recette. «Information sérieuse», ça paraît goûteux de prime abord. Mais selon quels critères peut-on être certain que l’on a affaire à de l’«information sérieuse»? Mais qui choisirait, et selon quels critères? Et qui choisirait celui qui choisit, et selon quels critères? A partir de là, la recette part en capilotades, le soufflé s’effondre. Ne reste plus que l’éternelle soupe réchauffée d’une hypothétique et inatteignable objectivité.

Ah là là, de me relire, j’en ai la larme à l’œil (un peu de sel pour rehausser la soupe): c’est tellement émouvant, une journaliste qui se bat becs et ongles pour défendre son métier contre les dégueulards qui vomissent sur la main qui les nourrit.

Oups. Et zap. Et switch.

C’est tout le contraire. Je ne suis pas en mésentente avec ceux qui fustigent les médias, prônent la remise en question, exigent des réformes. J’estime plutôt qu’ils ne vont pas assez loin. Gentils-gentils avec leur méthode à la Betty Bossi. Mais totalement idéalistement naïfs.

Il est temps, confrères journalistes, et tous les n’importe qui d’autres, de sortir l’arme lourde en matière d’assaisonnement. Curry vert, curry rouge, curry multicolore pour ne pas se voir taxer de politisation. Il est temps d’exploser radicalement nos papilles anesthésiées. De retrouver la connexion perdue avec ce qui nous tient lieu de cerveau. De ne plus nous contenter de le déguster aux petits oignons en lisant le journal, en regardant la TV, en écoutant la radio, en parcourant le net.

Supprimons les médias. Supprimons l’équivalent médiatique des désordres alimentaires.

Si je devais écrire un livre de cuisine journalistique, il n’aurait qu’une page. Blanche. Où j’inscrirais en négatif tout le mal que je pense des médias, de ses chefs et de ses consommateurs. Des troubles obsessionnels compulsifs qu’ils provoquent et induisent. De tous les toqués, moi comprise, que cela concerne.

«Zéro et une recette / comment rééquilibrer son appétit mental par le nihilo-journalisme»

Ou anarcho-journalisme?

Question ouverte.