7/09/2007

La Walkyrie

Scène finale du dernier acte de "Die Walküre". Donald Mc Intyre dans le rôle de Wotan. Mise en scène: Patrice Chéreau. Direction musicale: Pierre Boulez. Bayreuth - 1976.

Cycle dramatique en un prologue et trois journées

Soirée à deux. Un tantinet fatigués, nous optons pour la facilité télévisuelle. La zapette en main, je me balade sur les chaînes francophones. Déprimant: la daube prime time habituelle. Puis Arte. Analyse d’image à la seconde: une scène de théâtre. Un type au bidon de buveur de bière assis à une table. A ses côtés, une femme également bien en chair. Debout, un autre type plutôt ascétique. Analyse du son au millième de seconde: un ténor, une soprano, une basse, et une musique qui aussitôt appelle mes poils à se dresser tout raides, de la tête aux pieds. Siegmund, Sieglinde, Hunding. Impossible de confondre. Wagner, le Ring. Plus précisément «die Walküre». La Walkyrie, acte I.

Analyse relationnelle au micro-millième de seconde: mon mec déteste l’opéra. Ouvert à tous les genres musicaux, mais l’opéra, non, il ne croche pas. Pour ma part, je ne suis pas une spécialiste. L’opéra italien et ses ténors larmoyants m’agace. Pour le reste je ne connais pas grand-chose. Une exception à la clé: la Tétralogie.

J’y suis venue il y a longtemps, par l’entremise d’un ex qui aura au moins eu ce mérite. Premier contact par la bande d’une cassette VHS, l’Anneau du Nibelung dans sa version 1976 à Bayreuth – mise en scène de Patrice Chéreau, Pierre Boulez à la direction de l’orchestre.

Même pas un coup de foudre. Plus profond que ça. Une révélation. Une Révélation avec majuscule. J’ai bouffé les seize heures sans saturer la moindre minute. L’Or du Rhin. La Walkyrie. Siegfried. Le Crépuscule des Dieux. Et à la fin, j’ai regretté que ça ne dure pas encore.

Ensuite j’ai chatouillé d’autres œuvres du Maître allemand: Der fliegende Holländer, Tannhäuser, Lohengrin, Tristan und Isolde, Die Meistersinger von Nürnberg, Parsifal. De l’excellent, du génial. Mais rien d’aussi géant et abouti que le «Ring des Nibelungen».

Le tout enrobé d’une découverte parallèle de Louis II de Bavière, et du chef-d’œuvre de Visconti, et du «Lord of the Rings» de Tolkien, qui ne s’est jamais caché s’être inspiré du Richard ci-dessus.

La Tétralogie, c’était il y a des années. Je n’étais pas une freak au point de connaître par cœur jusqu’au plus précis des leitmotiv. Mais le «Ring», si on l’a aimé comme je l’ai adoré, ça ne s’oublie pas. Ainsi il ne m’aura pas fallu plus d’un millième de seconde pour m’y retrouver comme si c’était hier.

Un coup d’œil à mon mec. Je chuchote: «Wagner… Le Ring…» Il sait de quoi je parle, je lui ai raconté. Pour le bien du couple, je suis sincèrement prête à me sacrifier. Tant pis, il y aura d’autres occasions – un DVD, un voyage peut-être un jour à Bayreuth – encore que, vu la liste d’attente bloquée pour les dix ans à venir, cela relèverait du miracle… Grand seigneur, il répond à ma question informulée: «Non, vas-y, regarde, ça ne me dérange pas…»

Et de poser sa tête sur mes genoux. Il est tard. Selon mes calculs, la retransmission du Festival d’Aix-en-Provence ne se terminera pas avant une heure du matin. Le lendemain réveil aux aurores: est-ce bien raisonnable? J’y réfléchis un quart de micro-millième de seconde. Constat: je m’en tape!

D’ailleurs, je ne suis plus capable de réfléchir. Je n’ai pas envie de réfléchir. Je suis, très littéralement, hors de moi. Et je pleure, et je souris, et je ris. Et la palette plénière des sentiments. Et j’en jouis.

Tandis que mon homme, ennuyé jusqu’à la lie, s’est tranquillement endormi. La tête sur mes genoux.

7/08/2007

Tous ces dopés: dans un stade, et tac-tac-tac-tac-tac!

Votation ce week-end à Lausanne. Sujet: pour ou contre la création d’un local d’injection (sans distribution de drogue) pour les «personnes toxico-dépendantes».

La campagne a fait rage plusieurs mois durant, rapidement polarisée entre la gauche et la droite. Les arguments ont volé, souvent plus bas que le ras des pâquerettes. La droite (et pourtant je ne pense pas que l’on puisse me taxer de gauchiste) s’est singularisée par des affichages au goût douteux – «Lausanne Dope City» pour un libéral, «Lausanne capitale de la drogue» pour l’UDC, arborant un toxicomane vêtu d’un T-shirt aux couleurs du drapeau suisse… Lors de débats publics, les initiants se sont vu traiter de «nazis» et de «criminels.»

Dans cette ambiance délétère, essayer d’expliquer que la toxicomanie est une maladie, qu’il est inutile de vouloir forcer un toxico à se soigner s’il n’a pas fait le chemin dans sa tête au préalable (solution du genre: faut tous les enfermer et ils retrouveront la voie de la vérité), que certains, quelle que soit la bonne volonté de la société à les aider, ne franchiront jamais le pas (et faut-il pour autant les laisser crever sur le côté de la route?), que puisque d’aucuns persistent, autant qu’ils le fassent dans un environnement hygiéniquement irréprochable et entourés de professionnels plutôt que dans les chiottes publiques. Essayer d’expliquer qu’il y aurait un service d’ordre et que des bénévoles seraient prêts à faire le tour du quartier pour récupérer les seringues «égarées». Essayer d’expliquer quoi que ce soit de rationnel tenait de la gageure. Autant, pour plagier un capitaine de renom, jouer du cornet à piston devant la Tour Eiffel en espérant qu’elle va danser la samba.

Alors oui, ayant longtemps vécu à Berne, j’ai eu l’occasion de constater les désagréments du local d’injection. Courir mon jogging entre taches de sang et seringues empoisonnées n’était pas des plus agréables. Alors oui j’aurais eu tendance à détourner le regard, ou au contraire à me gaver en voyeuse, chaque fois que je passais devant (i.e. tous les jours) et que je croisais ces loques humaines dépourvues de la dernière des dignités. Alors oui, ce n’était pas la panacée angéliste que les uns prétendent. Alors oui je crois à la répression, notamment en ce qui concerne les dealers. Mais je crois aussi à la prévention et à l’accompagnement.

Peine perdue. Les «arguments» émotionnels-populistes l’ont emporté. Les Lausannois ont dit non à 54%. «Pas de ça chez nous!» Ou comme l’exprimait un anonyme en commentaire sur un site internet: «Tant mieux, mais tant mieux, qu’ils aillent se doper ailleurs!»

Refiler la patate chaude à son voisin. Voilà pour la version light. La version hard, souvent non-dite officiellement mais souvent évoquée entre quatre yeux intimes (je n’invente rien, je l’ai entendue dans un bistrot à l’insu des types qui causaient): «Ces dopés, faudrait tous les rassembler dans un stade et, tac-tac-tac-tac-tac, un bon coup de mitraillette, problème réglé!»

Le rejet du projet municipal est clair et net. Le peuple, ce souverain helvétique, a décidé. Ayant pris acte, on souhaite maintenant que les opposants victorieux aient à proposer quelques solutions un peu moins radicales.

Non mais c'est vrai quand même que c'est joli!


Taj Mahal
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Taj Mahal de mes sandales

Or donc, nous nous sommes choisi sept nouvelles Merveilles du Monde. Parmi celles-ci, le Taj Mahal, en Inde. Que dire – sinon que la hautaine Unesco s’est désolidarisée du projet, estimant que ces Merveilles n’avaient pas à être élues par un vote populaire et enfin très cher où va-t-on si le vulgaire s’occupe de culture… - que dire?

Le Taj Mahal, c’est super joli! Il s’agit, nous raconte Wikipedia, d’un mausolée que l’empereur moghol Shâh Jahân a fait construire dans la ville d’Agra en mémoire de son épouse Arjumand Bânu Begam, aussi connue sous le nom de Mumtaz Mahal, qui signifie en persan «la lumière du palais». J’ai eu l’occasion de le visiter lors d’un mémorable tour au Rajasthan – Jaipur, Jodhpur, Udaipur, Jaisalmer, le désert du Thar… parlant de Merveilles, j’en passe… - il y a quelques années. Mais, me rétorquera l’internaute avisé, Agra, ce n’est pas au Rajasthan! Ben non. Sauf que ça faisait partie du voyage organisé, alors tu y vas, tu n’as pas le choix, traîné par la peau du cou s’il le faut.

Serait-ce que j’étais un iota grognon parce que je m’en moquais, du Taj Mahal, j’aurais préféré rester une journée de plus au Rajasthan? En tout cas il m’en reste un souvenir impérissable, précis et concret. Le mausolée n’est pas juste un truc joli que l’on montre aux touristes en goguette. C’est également un lieu de pèlerinage. Où l’on se déchausse, par respect, avant d’entrer. Et en Inde il fait très chaud. Et la ventilation interne n’est pas terrible. Conclusion: le joli Taj Mahal pue des pieds que c’en est une infection. Difficile ensuite d’apprécier les délicates envolées architecturales.

Mais bon, je suis d’une mauvaise foi tout occidentale: hormis l’olfactif quasiment en relief, le Taj Mahal, c’est vraiment vraiment très joli…

PS: je ne dirai pas ce que je pense du Christ Rédempteur de Rio de Janeiro, sinon je suis bonne pour le bûcher…

7/03/2007

Et l'Altra, rognure d'une Madone noire


7/02/2007

L'Autre


L'Autre
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De John Howe à HR Giger en Pan European / III

Deuxième étape: Gruyères.

Sa ville moyenâgeuse, ses traditions helvétiques, sa crème double, son fromage, sa fondue moitié-moitié. Sise au centre d’une verdure accentuée, le pic du Moléson en point de mire, des masses de touristes affluant tout le long de l’année.

Gruyères, son atypisme à l’image d’une Suisse méconnue. Il y a là le Château historique – mais le Château s’est dévolu au Fantastique, à la Fantasy pour citer son appellation anglaise - accueillant des expositions qui tranchent radicalement avec l’environnement physique.

Plus radicalement encore, au milieu des chalets, des concerts de cors des Alpes, il y a là le Musée Giger. En annexe, le bar. On s’attendrait à les découvrir dans une métropole multiculturelle, style Barcelone ou Berlin, ou autres. Et c’est tellement plus fort de les découvrir dans un lieu qui a priori n’a rien pour les recevoir.

Au centre du bourg médiéval, juste avant l’arrivée au Château, le Musée. Douze francs par personne, on laisse son casque de moto, ses bagages à l’entrée. Et… on… plonge…

Premier mot qui surgit à l’esprit: glauque.

Glauque, glauque, glauque. Affreusement glauque.

Ensuite: excellent.

Excellent, excellent, excellent. Parfaitement excellent.

Aucune personne saine d’esprit ne voudrait posséder telle œuvre. Je ne donnerais rien pour posséder une telle œuvre, l’exposer chez moi.

Mais j’admire la splendeur délétère, j’envisage une pièce y-spécialement réservée, une chambre coupée. Ma chambre haute. Je n’y vis plus, mais elle est toujours là.

Ma chance, c’est de pouvoir y retourner avec l’homme que j’aime.

Ma chance, c’est que mon homme et moi sachions la transfigurer. La sublimer.

Ma chance, c’est que mon homme et moi.

La chance, inestimable, du partage.

Quand on parvient à être «Nous» au-delà d’un Alien déstabilisateur.

Quand on parvient à être «Nous» en respectant «Soi».

En aimant «Moi» et «Toi» et «L’Autre» et «Nous deux ensemble».

***

Chacun y retrouvera les siens dans l’univers de HR Giger.

Le réel du fantastique - et inversément


De John Howe à HR Giger en Pan European / II

Première étape: Saint-Ursanne.

Authentique cité du Moyen-Age au cœur du Jura suisse. Tous les deux ans, elle organise ses Fêtes médiévales.

Vu que je suis une passionnée de cette période historique, la manifestation traditionnelle était déjà une raison suffisante pour souhaiter m’y rendre. Sans compter que le panorama est une vraie merveille – pâturages vallonnés parsemés de sapins, forêts ombreusement humides, méandres du Doubs – à goûter par une splendide journée d’été.

Cette année toutefois s’y ajoutait un plus que je ne pouvais ignorer: l’invité principal des Fêtes médiévales de Saint-Ursanne n’était autre que John Howe.

Pour tous ceux qui ont aimé la trilogie du «Seigneur des Anneaux» de Peter Jackson, il suffira de préciser qu’il était directeur artistique, à l’origine de la plastique de tous les personnages et de l’ensemble des décors – hormi, évidemment, les décors naturels de Nouvelle-Zélande. Pour ceux qui comme moi ont découvert «The Lord of the Rings» bien avant le battage médiatique, John Howe est un illustrateur de Fantasy majeur qui reste évidemment attaché à cette œuvre mythique dans tous les sens du terme.

Depuis 1990, «The Lord of the Rings», je l’ai lu seize fois. Et ce n’est pas terminé. Un des rares livres que je connais qui évolue en parallèle à ma personnalité. Chaque fois que je m’y plonge, je découvre une nouvelle lecture en rapport avec l’état de mon vécu. Il n’y a pas de raison que ça change. Voilà pourquoi je me permets d’affirmer que c’est ma bible.

John Howe est arrivé plus tard. Mais le coup de foudre a été aussi magistral que l’œuvre qu’il illustrait. J’y retrouvais tout, absolument tout, ce que j’avais entraperçu entre les lignes, par une correspondance qui ne cessait pas, n’a jamais cessé, de me troubler, de m’interpeller.

Saint-Ursanne laisse libre cours à son imaginaire: réalisations en 3D disséminées dans la cité, expositions diverses entre le Cloître, le Musée lapidaire et le Caveau, film à la rencontre de l’auteur lors d’une visite au château du Haut-Koenigsbourg, en Alsace, choix de diapositives «There and Back again… and Space between» - bref, de quoi se sustenter à loisir.

Et puis, cerise sur le gâteau, séance de dédicaces le samedi dès 14h00. D’abord je me suis dit que non, il y avait trop de monde, une heure d’attente au minimum. Ensuite je me suis dit que non – il y avait moins de monde, moins d’attente, mais tout de même, je n’allais pas me la jouer groupie – «Monsieur John Howe, j’adore ce que vous faites!» - ensuite je me suis dit que oui, pourquoi pas?

Ensuite je me suis dit que je n’allais pas me la jouer du tout. Après tout, hein, ce type, c’était un type comme les autres, comme vous et moi. Ensuite je me suis dit: c’est un artiste, ça lui fait sûrement plaisir de savoir que l’on aime son œuvre, si j’étais à sa place ça me ferait plaisir en tout cas. Ensuite, quand il ne demeurait plus que trois rangs de personnes devant moi, j’ai commencé à me demander: «Mon dieu, qu’est-ce que je vais lui dire??? Mon dieu, je ne vais rien trouver à lui dire!!!» Et je me suis sentie très bête.

Histoire de gagner du temps, j’ai poussé mon homme devant moi. Qui s’est plié avec bonne grâce: «Je ne vous connais pas du tout», a-t-il avoué avec sincérité, avant d’ajouter «Mafalda m’a confié que vous êtes fou…» et d’ajouter encore «C’est un des plus beaux compliments qu’elle puisse vous faire…» A mon tour. J’ai placé ma reproduction de l’affiche sur la table, ai inspiré un grand coup, et me suis efforcée de baragouiner quelque chose. Surprise la première de mon cœur qui battait à tout va et de cette voix qui sortait en tremblotant. John Howe n’avait rien d’impressionnant d’apparence, il ne se la pétait pas, rien en lui ne transpirait la star. Pourtant il me semblait que j’avais quatre ans et je ne trouvais plus mes mots.

Et puis merde, j’ai lâché prise, je n’ai pas cherché à cacher quoi que ce soit.

«Je suis très émue…», me suis-je entendu prononcer en chuchotant quasiment. «Il y a des années que vous habitez mon imaginaire…» Ne manquant pas d’humour, il a enchaîné: «Et aujourd’hui vous êtes déçue…» C’est tellement vrai, comme ça, qu’il ne ressemble à rien de spécial. Sauf ses yeux, illuminés. D’ailleurs on s’en fout, il suffit de se plonger dans ses illustrations. «Non, tout au contraire….», me suis-je entendu répondre. «On dirait… on dirait que vous êtes assis dans mon cerveau… et que vous reproduisez dans vos dessins ce que moi je vois…» Un contact visuel au-delà des mots. «Merci… Merci de tout ce que vous m’avez apporté durant toutes ces années… Et continuez !» Une réponse marmonnée à travers la barbe: «Merci aussi… Et oui j’ai l’intention de continuer… D’ailleurs, je ne sais rien faire d’autre…»

Très bête, très stupide, me suis-je sentie à repartir les larmes aux paupières, choyant une émotion au jour le jour. L’espace d’un instant.

Ainsi suis-je, hypersensible. C’est parfois un moins dans notre société de handicapés émotionnels. C’est souvent un plus, parce qu’on vole plus haut qu’on ne saurait le concevoir.

Je suis heureuse d’avoir croisé John Howe. D’avoir pu lui dire, sans qu’il joue à la star et sans que je ne joue à la groupie, ce que son œuvre représente d’enrichissement.

***

Plus d’informations sur Saint-Ursanne la Fantastique

Honda Pan European 1100 / merci au pilote!


De John Howe à HR Giger en Pan European / I

Quoi de mieux qu’un week-end bien rempli pour se faire croire qu’on est encore en vacances? D’autant plus si on se sent, depuis quelques mois, en vacance.

Samedi, 09h30, Lausanne. Le grondement typique d’une moto feule à mes oreilles. Il arrive. M’avait avertie: «Tu verras, la Honda Pan European 1100 n’a rien à voir avec la 600 Hornet.» Une femme avertie en vaut peut-être deux, mais je me sens minuscule face à ce monstre de mécanique et de puissance. Allons donc, je ne vais pas monter sur cette machine?! Ou si!? Allons donc, j’adore ça! Ou non?!

La première heure, je déteste. Entre Lausanne et Neuchâtel, autoroute, autoroute, autoroute, je m’accroche de toutes mes forces pour ne pas demander à descendre et continuer à pied. Morte de trouille. De toute façon, n’est-ce pas, c’est bien ce qui va se produire, je vais mourir. M’imagine glisser, emportée par le vent, écartelée aux quatre de ce même. Mon petit déjeuner ne passe pas, se tourne en boule dans l’estomac, je salive abondamment, transpire, grelotte, les tunnels sont si cru, je vais tourner de l’œil après l’estomac, pourquoi ai-je voulu venir?

La Chaux-de-Fonds. Les semelles fermement ancrées au sol, je déguste un thé de menthe comme s’il s’agissait d’ambroisie. Que la terre immobile a du bon! Etrangement, c’est à cet instant-là que je m’interroge: «On repart bientôt?» Réglée tel du papier à musique. Il m’aura fallu une heure pour (re)trouver mes marques, à l’instar de ma première fois. Une heure pour me souvenir – puisque désormais je suis entrée dans ce royaume – que j’adore ça, pour me laisser séduire par la moto et (re)tomber follement amoureuse.

La suite, pendant deux jours et sur 600 kilomètres, c’est pur plaisir. Suite ininterrompue, la moto participant pleinement du voyage. On apprend peu à peu à la connaître, on s’identifie à elle, au final on ne fait plus qu’un.

Lorsque j’étais gamine et que nous partions en vacances au bord de la mer, de longues heures de voiture à la clé, je comptais les motards que j’apercevais en sens inverse. L’image m’en est revenue dimanche, sur l’autoroute en direction de Genève, au beau milieu d’un orage et sous une pluie battante. J’avais envie d’écarter les bras et de crier à tue-tête: «I’m the queen of the world!» Je les décomptais, les observais. Souvent des Allemands, qui se déplaçaient en bande. De temps à autre groupés sous un pont, lorsque le climat virait à l’aigre. Je les regardais, bien à l’abri de l’habitacle. Et aujourd’hui je me dis que j’aurais voulu les rejoindre. Vaguement, dans mon esprit de petite fille. Visions furtives qui n’ont jamais disparu, que seul un vécu particulier à cette machine a déplacé sur la ligne de mon existence.

La moto, j’adore! J’attends la prochaine fois.

Quant à la peur qui pimente le plaisir… Bah, je n’ai rien inventé. De toute manière, c’est surtout partie de mon imagination – de mon imaginaire.