10/24/2007

Compte à rebours bis

La grande difficulté d’un deuil, outre bien évidemment le chagrin, c’est qu’il n’est pas linéaire. On ne part pas d’un point A pour aboutir à un point B par un tracé prédéfini. On avance un bout, on recule, on avance, on stagne, on recule, on avance. Tout ce que l’on peut se dire pour se rassurer, c’est que malgré tout on avance, chacun selon son rythme personnel, vers l’apaisement.

La première année est réputée pour être très difficile, d’autant plus dans les périodes symboliquement marquées. La période actuelle, en ce qui concerne mon père, est symboliquement marquée. Il y a une année de cela, il et nous étions en plein dedans. Il venait de recevoir le diagnostic de la biopsie, se préparait à subir une très lourde opération au CHUV.

Je me souviens que dans les derniers jours, lorsqu’il était déjà à l’agonie, j’avais demandé à ce qu’on lui retire sa montre, parce que je ne supportais plus le tic-tac de la trotteuse, qui me rappelait trop crûment qu’il avait entamé son dernier compte à rebours. Ce compte à rebours, je (nous – la famille) le revis maintenant, avec le poids supplémentaire d’un « déjà-vu », d’une conscience autrement plus nette que celle d’alors, quand nous étions tous quelque part anesthésiés par le tourbillon. Un compte à rebours qui devrait trouver son apex le 15 janvier, le jour de sa mort. Tout ne sera pas résolu ensuite, mais nous aurons certainement franchi une étape sur le chemin de l’apaisement.

Je vais bien, ma vie va bien. Mais je ne peux empêcher que mon esprit m’y ramène. Ni ne veux. C’est part d’un travail nécessaire qu’il me faut accomplir. Etant quelqu’un qui rêve beaucoup, se rappelle beaucoup ses rêves, cela se manifeste chez moi essentiellement sous la forme onirique. De cauchemars, en l’occurrence. Bien que les endroits et les situations diffèrent, ceux de ces derniers temps ont tous un scénario identique.

J’ai hésité à en raconter un sur ce blog. Puis je me suis dit que j’avais envie de le faire, pour moi d’abord, mais aussi parce que cela fait partie de l’existence, que nous y sommes tous confrontés un jour ou l’autre, et que j’estime que les tabous n’ont jamais aidé à l’avancement du schmilblick.

Voici donc mon cauchemar de la nuit dernière.

Et promis: dès que je referai à nouveau de beaux rêves de mon papa, qui me manque tellement, j’en raconterai un aussi.

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Nous sommes à Peseux, près de Neuchâtel, dans la maison où j'ai grandi. Mes parents sont au salon. Je les observe discrètement du pas de la porte. Ils se disputent. Mon père a un visage des mauvais jours. Son humeur semble fracassante, mais je sais qu’en réalité il souffre, parce qu’il ne cesse de grimacer. C’est comme si je pouvais lire dans son esprit: il est enfermé avec sa douleur, il se sent seul et incompris. La situation me terrorise, parce que je devine sans fard ce qu’elle signifie. Alors qu’il était déjà à l’agonie, une inattendue et quasi miraculeuse rémission lui a permis de vivre normalement durant de nombreux mois. Aucune trace de son cancer, rien. Si maintenant il rechute, c’est que la maladie est revenue, et en force. C’est qu’il est foutu. Il va falloir revivre ces longs mois où son état empire, jusqu’à une nouvelle agonie, et à la mort, cette fois.

Tandis que je pense à tout ça, ma mère quitte brusquement le salon. Mon père suit peu après. Sans nous jeter un coup d'oeil, il va vers la cuisine. Il marche comme un vieillard, perclus de souffrance, dans un pyjama dix fois trop grand pour lui qui ressemble à l’uniforme rayé des détenus de camps de concentration. Ne cesse de marmonner une phrase que je ne comprends pas. Je demande à ma mère ce qui lui arrive. Elle me réponds, manifestement en colère: «Il est en phase dépressive.»

Je me lance à la poursuite de mon père, afin de savoir si je peux faire quelque chose pour lui. Comme je me rapproche, j’entends finalement les mots qu’il répète sans arrêt, telle une litanie: «Le dépôt de mes armes, le dépôt de mes armes, le dépôt de mes armes…» Mon sang se glace. Il a décidé de laisser tomber. A l’instant même où cette prise de conscience me transperce, je vois qu’il a ouvert la fenêtre de la cuisine et qu’il est monté sur le rebord. Qu'il vague, en déséquilibre, vers le vide.

En totale panique, je me retourne pour appeler ma mère. Je lui crie de faire quelque chose, il va se suicider. Complètement paralysée, elle ne bronche pas. Alors je me rue vers mon père, m’arrête à quelques pas de lui. Dans la maison d’en face, au deuxième étage, je vois ma grand-mère maternelle (morte en 2000) scruter la scène avec curiosité. Je lui fais de grands gestes désespérés, essaie de lui expliquer avec des signes, un pouce vers l’oreille un index vers la bouche, qu’il faut qu’elle appelle la police. Sans succès. Elle ne bouge pas.

Finalement, j’en appelle à mon père. «Papa…» Ma voix est à peine plus qu’un croassement chuchoté. Il se tourne vers moi. La douleur a disparu de ses traits, de son regard, de son corps. Il se tient droit, me regarde clair. «Ecoute-moi bien…». Avant même qu’il ne poursuive, je comprends que c’est fini. Quoi que je puisse dire, quoi que je puisse tenter pour le retenir, il va sauter.

Et je me réveille d'un bond.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

et bien dis donc... très troublant ce rêve!! J ai un livre qui parle des rêves... Ca m a pas mal aidée a une époque a essayer d analyser tout ca... personnellement je ne m en souviens jamais.. et des que je me souviens d un soupcon de reve c est a chaque fois des trucs super gore qui me font sursauter au milier de mon sommeil... je devenais folle un temps... folle de ne pas savoir a quoi cela rimait... avec ce livre j ai compris que tout ce que tu as pu vivre... tout ce que tu as pu dire ou faire ce répecute dans les rêves sous formes de "symboles"... genre si tu reve d un chat ca s associ a un principe féminin... apres tout dépends de comment toi tu le percoit... enfin ca serai compliqué a résumer tout ca mais en tout ca si ca t interesse je t amene le livre tres volontiers! :o)
En attendant... te fais un gros poutou!!!

12:10 AM  
Blogger Myriam said...

Oui, Mél, amène-moi ce bouquin. C'est très volontiers que je le lirai.

Perso, je pense que l'on ne rêve pas par hasard, qu'il s'agit toujours de quelque chose qui nous travaille, de quelque chose que l'on essaie de se dire.

Je connais un autre bon moyen de savoir à quoi tout cela peut bien rimer. Le jeu des associations. Prendre un élément de son rêve et, sans réfléchir, se laisser penser à un autre mot qu'on y associe, et ainsi de suite, jusqu'à ce que surgisse la véritable signification...

Un gros poutou à toi aussi, chère Mima ! :-)

1:02 AM  

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