10/15/2007

De monstre à monstres

Je suppose que tous connaissent le dicton selon lequel «l’érotisme des uns est la pornographie des autres».

Hors domaine exclusif de la sexualité, ou en tout cas de façon plus globale, cela me rappelle une BD qui m’a marquée durant mon enfance.

Je devais avoir une dizaine d’années. En vacances chez mes grands-parents en Sicile. Autant l’avouer, je m’ennuyais assez ferme dans ce monde d’adultes que je ressentais principalement comme des obligations – mes copines me manquaient, je me réjouissais de la rentrée, y compris de la reprise de l’école, où je me sentais plus à l’aise que dans le milieu familial. Je m’emmerdais, oui, et c’était gratiné. M’emmerdais au point où je me suis mise à fouiller. Lorsque la troupe, par exemple, s’en allait au marché du village et que je prétextais n’importe quoi pour rester seule. A mettre mon nez partout. Dans les tiroirs de la «nonna» - bof, rien de très intéressant entre les gaines et soutien-gorge renforcés. Dans les tiroirs du «nonno» - slips kangourou pareils à ceux de mon père, rien de très titillant. Dans les tiroirs de la cuisine – mille et une herbes, mille et une casseroles, de quoi affoler mon appétit, mais pas de quoi affoler mes sens. Dans les tiroirs de la salle de bains – des machins, des bidules, j’étais trop jeune alors pour comprendre l’attrait ambigu des drogues.

Jusqu’à ce que je tombe sur une collection de mon grand-père. Je ne l’avais pas cherchée, il n’y avait même pas à la chercher. Elle était rangée, proprement, dans le meuble qui soutenait la TV. BD basique, en format poche, noir et blanc. Réalisation vulgaire, sans aucune tentative artistique. Je m’en foutais. Ce qui a retenu mon attention, c’était les histoires. Une histoire en particulier.

Un jeune garçon, à peu près de mon âge selon les dessins, se promenait dans sa ville. En plein cauchemar. Tous les gens qu’il croisait étaient des monstres. Visages dignes d’extra-terrestres les plus inhumains. Tous d’une autre planète, totalement non réceptifs à ses tentatives de communication. Tous totalement non réceptifs à ses demandes d’aide. Il marchait, de plus en plus désespéré. Les larmes aux yeux, les larmes sur les joues. Les larmes.

On se demandait, je me demandais, comment et pourquoi il s’était trouvé catapulté dans un tel monde d’horreur. On avait envie, je me sentais l’envie, de compatir avec lui. Empathie. Sauf qu’au final, le cauchemar était encore plus cauchemardesque.

A la dernière case de la BD, on comprenait que le monstre, c’était lui. Couché dans un lit d’hôpital, avec une face d’Elephant Man. C’était lui, le monstre, sur lequel des infirmières se penchaient. Lui qui fantasmait un monde où il serait «normal» face à des «anormaux».

Sur le moment, je n’ai pas pensé tout cela aussi clairement – je n’avais que dix ans, après tout – mais cela m’a marquée. Cela m’est resté, par la suite. Aujourd’hui encore. Une réflexion sur la «normalité», dans son extension sur la «norme». Et sur ce que suppose réellement l’ouverture d’esprit, l’ouverture à l’autre. L’acceptation de la différence.

Un thème plus que jamais, même s’il n’est pas nouveau, d’actualité.

4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Inutile d’avoir une trompe au beau milieu de la figure ou une grande paire d’oreilles de chaque côté du crâne pour être un monstre.
Il existe aussi des monstres bien cachés derrière chacun de nous. Où commence l’acceptation de l’autre alors ? Je ne le sais pas, mais ce que je sais c’est que dès que les différences de l’autre viennent empiéter sur la liberté et le bonheur d’autrui alors rien n’est plus possible. Il y a certes ceux qui n’acceptent pas les différences mais que penser de ceux qui refusent obstinément l’évidence ? L’évidence de la compatibilité et des similitudes..
On est tous un jour le monstre de quelqu’un…

4:49 PM  
Blogger Myriam said...

Hello grand maître serein,

Merci de ton message. Un dicton bien connu dit que "ma liberté s'arrête où commence celle d'autrui". Et inversément.

Il est clair que ceux qui n'acceptent pas la différence et que ceux qui s'obstinent à refuser l'évidence rament chacun de leur côté à bord d'un bateau extrémiste.

Ce qui ne résoud pas, évidemment, la question de "où commence / s'arrête l'acceptation de l'autre?"

Il existe toutefois un moyen, je le crois, de dépasser les fractures, même d'apparence les plus radicales. Et peut-être aurais-je dû conclure mon billet là-dessus.

La communication.

Suis-je naïve de penser que l'on ne doit pas fatalement être un jour le monstre de quelqu'un? Sans nul doute. Mais, comme aurait pu dire l'autre, c'est ma naïveté et je la partage :-)

Salutations,

Mafalda

9:07 PM  
Anonymous Anonyme said...

Pour communiquer il faut parler la même langue et pour parler la même langue il faut que cette langue ne soit pas connu que d'une seule personne. Sur ce, ceci pour conclure que nos échanges ont commencé par écrit et se termine..par écrit. La boucle est bouclée..

9:44 PM  
Blogger Myriam said...

Re-hello,

Je suis d'accord avec toi, cela va sans dire. Il est sûr qu'une langue connue d'une seule personne n'a rien à voir avec de la communication.

Mais peut-être, dans mon incommensurable naïveté :-) que l'on peut imaginer... de la traduction?

Cela étant, même si mon blog ne t'a pas plu, je te remercie d'être intervenu.

Mafalda

10:37 PM  

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