10/10/2007

363 jours

Il y a presque une année, à deux jours près, le 12 octobre 2006, mon père apprenait les résultats de sa biopsie. Apprenait, en compagnie de ma mère, le diagnostic. Cancer de la plèvre. Et le pronostic. Trois à six mois à vivre. Je me souviens qu’elle me l’avait annoncé au téléphone. J’étais dans le bus, alors, à Berne. Je rentrais chez moi. J’avais eu beaucoup de difficulté à comprendre ses mots parmi les sanglots. Et même après avoir entendu les mots, j’avais eu beaucoup de difficulté à comprendre de quoi il s’agissait. Trois à six mois à vivre, qu’est-ce que cela voulait dire? C’était improbable. Impensable. Impossible. N’importe qui d’autre, peut-être. Mais pas mon père, pas mon papa. Il était plus fort que ça, il allait s’en sortir. Mais… trois à six mois, de la part d’un spécialiste? Dès lors, je suis entrée en schizophrénie. Prête à me battre avec lui de toutes mes tripes, quand ces mêmes tripes me gueulaient qu’il n’y avait plus rien à faire. Maintenir l’espoir quand on sait, intrinséquement, profondément, qu’il n’y a pas d’espoir – c’est un état que l’on ne peut appréhender avant de l’avoir vécu.

Maintenant, 363 jours plus tard, je pense surtout à mon père. A ce qu’il a pu ressentir, éprouver, quand la masse lui est tombée sur la tête. Quand le couperet s’est abattu. J’y pense, mais je ne peux pas savoir. Aucun de ses proches n’a pu savoir, malgré l’amour et l’empathie. Bien qu’accompagné, il était seul. Journal d’un condamné à mort. Il en a lâché quelques bribes, de ce journal, les trois mois qui ont suivi. Nous y avons répondu au mieux, chacun selon ses moyens. Mais il n’empêche qu’il était seul. Pas abandonné, parce que nous l’avons soutenu jusqu’aux derniers moments de ses derniers râles d’agonie. Mais seul face à sa mort. C’est une dure vérité. Une vérité qui nous attend tous. Nous n’avons pas d’autre choix que de l’accepter. Histoire, comme je crois que mon papa l’a fait, de partir en paix. Et de laisser, après une inévitable douleur, de la paix derrière lui. Il n’a pas surmonté la maladie, mais face à la mort, et à une horrible souffrance, il a été vrai. C’est de cet héritage dont je me souviendrai.

Quelques jours après le diagnostic, le pronostic, quand il était sorti de l’hôpital en attente d’une pleurectomie, il est allé se promener avec ma mère au bord du canal de la Thielle. Là, ils se sont pris dans les bras l’un de l’autre et ils se sont confrontés à l’orage à venir. Et ça, malgré la fin terrible que l’on connaît, c’est d’une beauté absolue.

Je ne doute pas qu’il l’ait goûtée. J’espère, aussi, que cela l’a aidé.

Repose en paix, mon papa.