1/14/2008

L'humilité de la morgue

Plagiant l’excellente pensée de Pierre Desproges: on peut parler de tout, mais pas avec n’importe qui. Quant à en rire, cela relève du défi suprême.

Gamine, puis ado, j’ai tenté plusieurs fois d’amener à la table familiale des sujets qui me titillaient: la maladie, la vieillesse, la mort. Non que cela m’obsédait, mais parce que je devinais que c’était important, et que j’aurais voulu en discuter comme nous discutions du reste de la vie au quotidien. Systématiquement, je me suis entendu répondre: «Bon, franchement, tu n’as pas un thème plus joyeux?» Point barre.

En grandissant, en gagnant en maturité, je me suis rendu compte que le tabou n’appartenait pas qu’à ma seule famille, qu’il était partie intégrante de la société dans laquelle j’évoluais.

Entre 1999 et 2001, j’ai effectué mon stage en journalisme. A cette occasion, j’ai suivi les cours du CRFJ – Centre romand de formation des journalistes, à Lausanne. Il y avait à boire et à manger. Ce que j’ai apprécié plus que tout, c’était les exercices pratiques. Radio, TV, billet d’humeur, interview, enquête. Et reportage.

Le sujet s’est imposé comme ça, sans que j’y réfléchisse. Une visite à la morgue à l’hôpital des Cadolles, Neuchâtel. Ça me paraissait évident, mais je me suis très vite heurtée à des obstacles. Au sein des cours déjà. Questions du prof et de mes coreligionnaires: pourquoi la morgue? Franchement, est-ce que cette curiosité n’était pas morbide? Pour ma part, je ne comprenais pas leur retenue. Nous allions tous un jour ou l’autre passer dans cette antichambre de la mort, et je ne voyais pas pourquoi nous devions faire semblant que cela n’existe pas.

J’ai surmonté les obstacles des cours pour mieux me confronter aux obstacles de l’hôpital. L’infirmière en chef responsable du service de passage m’a reçue du bout les lèvres, avec une suspicion manifeste de tous ses traits, comme si j’étais une espèce de malade dont il fallait se méfier. Après des dizaines de minutes d’argumentation, j’ai eu accès à la morgue proprement dite. Mais pas au tunnel qui y menait de l’hôpital. Comme s’il fallait qu’il n’y ait aucun lien tangible entre les deux.

J’ai vu la pièce qui nous concerne tous. De façon très crue, avec les bacs destinés au découpage des corps, les rigoles pour laisser glisser les humeurs, les outils tranchants, les bottes et les tabliers de plastique, les jets d’eau pour nettoyer. Puis, juste après, les chapelles où la famille vient se recueillir, box séparés de rideaux en velours rouge, juste avant la dernière destination au cimetière.

J’ai écrit un texte que personne n’a reçu. Ni l’hôpital, ni les cours du CRFJ. Je ne regrette pas de l’avoir écrit, parce que je sais qu’il est vrai.

Il faut parler de tout, avec tout le monde. Il faut rire de tout, avec tout le monde.

C’est une nécessité!

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

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8:30 PM  

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