1/31/2008

Coup de gueule !

J’aime mon boulot, il me plaît, me correspond. Tant pour l’aspect intellectuel que créatif et ludique. J’ai aussi la chance de travailler au sein d’une équipe que j’apprécie, dans tous les départements.

Parfois pourtant j’en ai marre des réflexes de caste élitiste de mes collègues journalistes. Marre de cette tendance à se croire supérieur et omniscient. Marre de ce mépris à peine voilé pour ceux qui consomment nos médias et nous font vivre. Marre de cette propension «inspecteur des travaux finis», qui critique tout, tout le monde, et se montre totalement incapable de se remettre en question.

Je n’ai pas fait d’études universitaires. Pour diverses raisons de vécu, j’ai jeté l’éponge après le bac. Avant d’en arriver au journalisme, j’ai effectué quantité de jobs différents. Serveuse – du restaurant au tea-room en passant par le bar à apéritif fréquenté par le monde de la nuit. Employée d’une grande fabrique de chocolat, à la chaîne. Employée d’une boulangerie industrielle pour un groupe de supermarchés, à la chaîne. Employée dans une usine de décolletage. Employée d’une firme de métaux précieux, pour la fabrication de la pièce commémorative du 700e anniversaire de la Confédération helvétique. Employée de la bibliothèque municipale, où j’enregistrais sur ordi des thèses en finnois. Employée à l’asile psychiatrique cantonal, section buanderie.

Il m’a fallu des années pour assumer le fait que je n’avais pas de diplôme universitaire. Par rapport à ceux que je fréquentais, par rapport aux attentes familiales, je ressentais à la fois de la honte et de la culpabilité. Il m’a fallu des années pour comprendre que mon expérience professionnelle diversifiée n’était pas une perte de temps, un manque, mais au contraire une richesse, un plus. Cela m’a permis d’élargir mon horizon, d’ouvrir mon esprit, en rencontrant des gens qu’autrement je n’aurais jamais croisés.

Cette largesse d’esprit, cet horizon ouvert, je les ai gardés. Et je trouve qu’ils font souvent cruellement défaut dans l’univers journalistique où j’évolue.

Dernier exemple en date, qui a provoqué l’écriture de ce billet.

Le média qui m’emploie cherche deux nouveaux membres. Discussion des cadres chargés de l’embauche:

«Tu ne vas pas me croire, mais j’ai reçu la candidature d’une coiffeuse!»

«Non, tu déconnes! Une coiffeuse?!?»

«Si si, je t’assure! Elle ne doutait de rien, la nana! Dans son dossier, elle a précisé qu’elle était passionnée par le lifestyle et par internet!»

Mouarf, mdr, gros rires gras et tout ce qui s’ensuit.

Je suis intervenue, notant au passage que leur calvitie respective les rendait sûrement insensibles au message d’une simple coiffeuse. Ils ont bien rigolé.

Moi pas. Je ne suis pas en train de dire qu’il aurait fallu l’engager, cette jeune femme. Ce que je veux dire, c’est que sa candidature aurait mérité plus de respect. Qu’elle, en tant qu’être humain, aurait mérité plus de respect.

Je n’ai pas insisté. Citant un célèbre capitaine: «Autant jouer du cornet à piston devant la Tour Eiffel en espérant qu’elle va danser la samba!»

Ma conclusion: les pauvres ne sont pas toujours ceux que l’on croit.