6/13/2007

La persistance du tabou

Comme déjà dit: on trouve de tout sur le net. Y compris des forums dédiés exclusivement au mésothéliome malin, plus communément appelé cancer de la plèvre. Après la mort de mon père, j’ai ressenti le besoin de participer à l’un d’entre eux. Besoin, je pense naturel, d’échanger avec des personnes qui partagent et/ou ont partagé le même vécu que moi. Besoin qui s’estompe petit à petit, si bien que j’espace mes visites et qu’arrivera le moment où je quitterai définitivement. Le contraire m’inquiéterait, en ce qu’il signifierait une tendance morbide à ressasser, à l’image de ces personnes qui n’accomplissent jamais leur deuil, qui font de leur deuil perpétuel leur vie, rituel sinistrement coulé dans un ultime marbre froid. Mais ça, c’est un autre propos.

Or donc, le forum auquel je participe encore sporadiquement est censé apporter des réponses sincères à tous ceux qui sont impliqués de près ou de plus loin dans le cancer de la plèvre. Vœux pieux. Ou foutaises, selon le qualificatif que l’on choisit.

Que je m’explique. En matière de mésothéliome malin, les statistiques sont impitoyables: aucun, et je souligne aucun, cas de guérison n’a jamais été répertorié. Pas même le moindre miracle en provenance du Vatican ou de Lourdes. On ne guérit pas du cancer de la plèvre. On en crève à 100%, avec une espérance de «vie» qui va de quelques semaines à moins d’une année, voire, chez les plus résistants, quelques mois supplémentaires. Et dans quelles conditions? Mais ça, c’est un autre propos.

On ne guérit pas du cancer de la plèvre, il n’y a aucun espoir. C’est une certitude pour l’heure mathématique. Tout le monde le sait, du corps médical à l’entourage, en passant par les malades. Sauf que, chut, il ne faut surtout pas le dire à voix haute, l’exprimer noir sur blanc. Le corps médical est coincé dans son serment d’hypocrite, toujours à la recherche de cobayes prêts, dans leur faim normale de survivre, à tester n’importe quel traitement. L’entourage préfère ne pas savoir, parce que c’est intolérable, inassumable, et parce que de reconnaître une fin inéluctable provoque une culpabilité trop lourde à porter, comme si de ne pas souscrire au message officiel de «on va se battre» équivalait à enterrer le malade avant l’heure, à le trahir. Finalement, c’est souvent ce même malade qui est le plus clairvoyant. Il n’a aucune envie de donner sa bénédiction à ce jeu de dupes, il voudrait se confier, confier ses interrogations, ses douleurs, ses peurs, ses angoisses. Pourtant, dans la crainte de peiner son entourage, il se retient, il prend sur lui. Il reste seul là où il pourrait être accompagné.

Ce message, j’ai tenté de le faire passer sur le forum. D’avancer qu’il n’y a rien de pire que le non-dit, en ce qu’il brouille les cartes d’une situation en soi déjà passablement compliquée. Qu’il ne sert à rien de «parler de la pluie et du beau temps» au malade histoire de lui «changer les idées», parce qu’il ressent plus sûrement qu’à son tour le langage paraverbal qui au fond exprime l’inverse, que n’en résultent que des messages contradictoires qui n’aident nullement, qu’il risque de se sentir infantilisé, réduit à son statut de cancéreux à préserver à tout prix, quand ce qui lui reste lorsque sa dignité physique fout le camp de tous côtés est peut-être précisément sa dignité d’être humain à part entière, avec l’esprit et la lucidité que ça suppose. J’ai tenté de préciser que regarder la vérité en face ne voulait pas dire baisser les bras et se morfondre dans un fatalisme déprimé. Qu’au contraire ça permet de trouver une nouvelle force, un nouveau courage, pour accompagner la personne cruellement atteinte au mieux. Qu’accompagner un malade, terme joliment politiquement correct, c’est aussi cela, même si c’est dur, même si c’est terrible, même si c’est intolérable et inassumable, même si on souhaiterait ne rien savoir.

Ce message, je l’ai enrobé de toutes les manières, ajoutant que je ne détenais pas une vérité absolue, que je n’écrivais que ce que je pensais, qu’il n’y avait pas une façon d’agir juste et d’autres fausses, que cela n’engageait que moi…

Peine perdue. Le politiquement correct, je l’avais brisé. Même si c’est un fait que l’on ne guérit pas du cancer de la plèvre, il ne faut pas le dire. Ceux qui le savent parce qu’ils ont perdu un être aimé dans cette bataille sans lendemain sont les premiers gardiens de la charia. Les premiers à ostraciser tout étourdi qui oserait prétendre autrement.

«Il faut se battre, tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir et l’espoir fait vivre». Tel est l’unique message autorisé.

Je sais bien que l’être humain est programmé pour vivre et que fondamentalement il ne peut pas appréhender la notion de mort. Je sais bien, mais je ne peux m’empêcher de songer que notre société (occidentale, celle que je connais) a un gros problème avec sa propre mortalité – pas étonnant que certains croient mordicus qu’un jour ou l’autre la médecine parviendra à vaincre la mort. Je ne peux m’empêcher de songer que c’est déplorable, inquiétant, effrayant.

La vie, que je sache, trouve en partie son sens en ce que la mort en est intégrante. Si on l’oublie, si on le nie… Quid de notre avenir ?

3 Comments:

Blogger Megane said...

Comment une personne atteinte d'une telle maladie et se sachant condamnée peut-elle se sentir accompagnée par un entourage qui ne va pas dans la même direction de pensée qu'elle? Bien sûr, c'est plutôt facile de ma part de raisonner ainsi puisque je n'ai pas connu pareille situation, mais que ce que je pense ressorte de tes écrits me donne l'espoir de savoir que si le cas devait se présenter à moi, je pourrais peut-être garder la même ligne de conduite.

4:57 PM  
Blogger Myriam said...

Ce que tu penses, chère Mégane, c'est ce que tu te donnes les moyens de penser. Or d'autres, tant d'autres, n'ont pas cette possibilité. Que l'on m'entende, ce n'est pas un jugement. C'est un constat. Certains réfléchissent préventivement, d'autres subissent au jour le jour, chacun finalement se débrouille comme il peut lorsque la réalité s'inscrit au quotidien... N'empêche, je suis contente que tu sois là, que tu me comprennes avec tes tripes, avec ton ressenti, que tu m'en fasses part avec tes mots. Je suis heureuse que ce que tu ressens rejoigne ce que je ressens...

Merci.

9:14 PM  
Blogger Myriam said...

PS: et n'en doute pas, même si je ne te le souhaite pas, si un jour un tel cas devait se présenter à toi, tu saurais sûrement garder une identique ligne de conduite... Ce n'est pas juste du bla-bla, c'est précisément, y compris sans te connaître, que je t'en crois capable - à lire entre tes lignes...

9:23 PM  

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