6/09/2007

Honda 600 Hornet

Proposition de temps libre: et si on louait une moto?

Eté 1972. J’ai cinq ans. Je dors avec mon ours en peluche dans la chambre que je partage avec ma petite sœur. Lorsqu’un bruit me réveille. J’ouvre les yeux. J’entends un bruit. Persistant. Il fait si noir. Ma sœur continue de dormir. Je reconnais ce bruit. Mais pas de sa part. De sa part, ça me terrorise. Mon père. Mon père pleure.

Eté 1972. Ma tante, la sœur de mon père, âgée de quinze ans, est allée faire un tour en moto avec un cousin. Criminel de cousin, qui l’a laissé monter sur sa machine sans casque. Il n’en avait qu’un, il l’a gardé pour lui. Tortueuses routes du bord de mer. Une voiture sort d’une propriété privée. Ne les voit pas. Le cousin ne la voit pas. Ou trop tard. Choc. Même dans la chute, il ne lâche pas le guidon. Il s’en tirera avec quelques égratignures. Ma tante gicle. Vole. Retombe. Sa tête heurte l’asphalte. A l’hôpital, personne n’y pourra rien. Hémorragies internes multiples. Elle pisse le sang, de partout. Jusqu’à ses yeux qui en pleurent. Coma. Quelques heures, et ciao. Mon père, apprenant la nouvelle, fond en larmes. Pleure. Et moi j’ai peur.

Et si on louait une moto?

Que répondre, entre l’envie et la terreur? Quelle que soit la réponse, du moins il faut être sûre. Pas question de faire la girouette. D’outre-tombe, sieur comportementaliste me rappelle que l’évitement n’est jamais une solution, qu’une peur s’affronte pour mieux se démanteler. Et que c’est aussi valable, surtout, pour les croyances.

C’est ainsi que tout doit se terminer, ainsi que la boucle sera bouclée. Je me marre, parce que je ne suis pas ma tante, parce que la contamination est une histoire à reléguer sur une antique cassette VHS, tandis que je vais graver mon propre DVD. Je me marre, mais je ris un peu jaune.

Ok, va pour la moto.

Il vient me chercher en fin de journée à Lausanne. L’orage menace, il commence à pleuvoir. Soit on part de suite, soit on prend le risque de rester bloqués. On part de suite. Tant mieux, cela m’évite d’élucubrer trop avant. Je stresse. Un maximum. Boule à l’estomac, le cœur qui tachycarde. J’ai pris ma décision, et je m’y tiens.

Des premières minutes, je ne me rappelle rien. Je m’accroche au blouson de mon conducteur, seuls comptent mes doigts agrippés. Je l’entends vaguement m’expliquer que je ne dois laisser aucun espace entre nos deux corps, afin de limiter l’impact de l’air. J’écoute et j’obéis, en mode automatique.

Autoroute. Je reprends mes sens sur l’autoroute. Le compteur. 150 km/h. Intérieurement, je hurle: «NOUS SOMMES COMPLETEMENT FOUS!!! NOUS ALLONS MOURIR! MOURIR, MOURIR, MOURIR!!!» Tout arrêter, descendre de cet engin mortel, continuer à pied… J’ai pris ma décision, et je m’y tiens.

Je lui fais confiance. Conducteur émérite, expérimenté, je sais qu’il ne nous mettra pas en danger. Je lui fais entièrement confiance, ce n’est pas un vain mot. Je lâche prise.

Clic, déclic. Primordial, sans savoir ce qui se joue. Voie ouverte, ni barrière, ni censure, vers le plaisir.

J’aime. La vitesse. La moto qui vibre et nous relie, mon homme et moi, dans un corps à corps vital. J’aime. D’autres bruits. Le moteur qui feule, gronde, crie. La constance du vent dans mes oreilles. Du trafic. J’aime. L’air qui s’engouffre sous mon casque, me transperce de part en part, me remue, me secoue, me caresse et tour à tour me malmène. J’aime. Les odeurs. Les parfums. Les senteurs. Les fragrances. Gaz d’échappement, ozone du ciel orageux, «vao» du sol libéré par la pluie, foins fraîchement coupés, remugles de compost avant pourriture, vagues humides du lac, sous-bois champignonneux des forêts. J’aime. L’adrénaline qui monte à mon cerveau. Un sourire béat sur mes lèvres. Un poing levé. «Yes, yes, YES!!!»

J’ai aimé cette première fois, si proche d’une première fois orgasmique. J’ai aimé la partager avec l’homme que j’aime. J’ai aimé mon baptême sur deux jours, et le soir bercée dans les virages, jusqu’à souhaiter s’endormir, apaisée. Et le lendemain autour du lac Léman, autoroute encore, chemins de montagne, paysages extraterrestres, cul de sac, retour en arrière. J’ai aimé jusqu’au chien qui lorgnait mon mollet. J’ai aimé les routes, le défilement des routes, des horizons infinis aux embouteillages empuantis. J’ai aimé croiser d’autres motards. Un geste, une reconnaissance. Bienvenue au club.

J’ai plus qu’aimé. J’ai adoré. J’ai plus qu’adoré. J’ai passionné.

Plus qu’un baptême, un chemin d’initiation.

Instant de grâce.

Merci.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Envie de s'éclater ?

Hmmmm, :-)))

Spikey

7:45 PM  
Blogger Myriam said...

Hey Spikey,

Pas seulement envie de... Je me suis éclatée, très précisément et très concrètement. A ne demander que recommencer ! ;-)

4:13 AM  

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