3/28/2008

Un job de merde

Avez-vous déjà eu l’occasion de tester les troquets qui offrent la possibilité de jouer aux courses et à la loterie en direct? Généralement j’évite, tant ces bistrots sont glauques. Puis voilà, aujourd’hui, lors de mes courses en centre-ville et par un détour inattendu, je m’y suis retrouvée.

Constatation: c’est effectivement pire que glauque.

La clientèle – largement alcoolisée aux primes heures de la matinée, qui devant ses deux décis de rosé, qui devant son pastis, qui devant sa binche – est ce qu’elle est. Le point commun de ces visages ravagés, les plus jeunes semblant aussi vieux que les plus vieux, me rend triste, mais là n’est pas mon propos.

Ce qui me touche, me fracasse littéralement de l’intérieur, c’est la serveuse qui me sert mon expresso au bar. A vue de nez, elle doit avoir à peine plus de 20 ans. Son ventre pleinement arrondi ne laisse aucune hésitation: elle est enceinte, sûrement pas loin du terme. Et tandis qu’elle s’active ça et là telle une automate, éteinte, vide, dans un nuage de fumée à couper au couteau, rien n’indique qu’elle soit vivante.

Quelle colère j’ai éprouvée! Contre notre société, notre système, où l’on chante si haut la gloire du travail. Pour certains parce qu’ils ont grandi dans le lavage de cerveau où l’on ne saurait se définir que par son emploi. Et ce sont souvent les mêmes qui sont obligés de travailler parce qu’ils n’ont pas d’autre choix pour joindre les deux bouts à la fin du mois – quand ils y parviennent. Pour d’autres, les privilégiés – dont je fais partie – parce qu’ils estiment que le boulot, ce n’est pas désagréable, tant ils n’ont pas la moindre idée de ce que peut signifier d’assumer un job de merde pour un salaire de misère quand on ne peut faire différemment.

Dieu sait que je ne me reconnais pas d’extrême-gauche. Mais ce matin, tandis que mon expresso me restait en travers de la gorge, je me suis dit que ce serait peut-être une bonne chose d’envoyer nos universitaires, ces futures élites qui vont forger la marche de notre pays, aux boulots merdiques et sous-payés, comme à l’époque et ailleurs on les envoyait aux champs. Afin que, lorsqu’ils seront amenés à prendre des décisions en la matière, ils sachent de quoi ils parlent.

Ma première réaction de bourgeoise a été de laisser un pourboire largement supérieur à celui que je laisse d’habitude – par une espèce d’empathie, ayant moi-même été serveuse à un moment de mon existence. Puis je me suis dit que non, dès lors que le but serait de me donner bonne conscience. J’ai laissé un pourboire. Mais mon action se jouera dans mes choix politiques, vers celles et ceux qui tiennent compte de celles et ceux qui occupent des jobs de merde pour des salaires de merde.