11/03/2007

Les pantoufles, ou la vie!

Tous les soirs sauf le week-end, une femme de ménage vient avec son mari, son fils et parfois sa fille nettoyer le bordel (le mot est pesé) laissé derrière eux par les journalistes du média où je travaille. Je m’entends bien avec cette Italienne et lorsque je suis présente je prends toujours plaisir à tailler une bavette avec elle. Question de racines, de culture partagée, qui favorisent la communication. Pour le bonheur aussi de parler cette «bellissima lingua» que je n’ai que trop rarement l’occasion de pratiquer – encore que nous nous exprimions dans un sabir franco-italien typique des expatriés. Et puis aussi parce que, indépendamment du reste, j’apprécie cette femme.

Agée de 46 ans, elle est pourtant quelque part mon antithèse. Elle a connu son actuel époux à 16 ans - quand moi à cet âge j’entrais à peine dans la rébellion de l’adolescence. Mariée peu après, elle n’a fréquenté, y compris «bibliquement», qu’un seul homme – quand moi j’ai accumulé au fil des ans X relations sans lendemain.

Aujourd’hui, nos chemins se croisent. Là où j’ai finalement décidé de m’engager, de mettre toutes mes forces pour construire un couple durable avec celui que j’aime, celui qui m’en a donné envie, de me libérer d’une fausse liberté aussi contraignante qu’une obligation – elle est tentée de mettre un terme à un couple qui lui est devenu une obligation pour retrouver sa liberté.

Depuis 30 ans, elle côtoie un homme avec lequel elle ne partage rien. Depuis 30 ans, elle a tout supporté pour diverses raisons. Par devoir, principalement. Les enfants à élever, l’habitude acquise de penser aux autres avant soi-même. Par espoir également: peut-être son mari allait-il comprendre, peut-être allait-il évoluer. Trente ans se sont écoulés, rien n’a changé. Sauf que maintenant les enfants sont grands. Et, petit à petit, elle caresse l’espoir de ne penser qu’à elle, de prendre soin d’elle.

Dernièrement, elle est partie en vacances avec une amie au Maroc, pour une thalassothérapie. Avant de s’en aller, elle était pleine de doutes: était-ce le bon choix, était-ce le bon lieu, est-ce qu’elle ne faisait pas une erreur, est-ce qu’elle n’allait pas regretter? Ce soir, tandis que je vaquais à mes occupations, je l’ai sentie transformée. C’est d’ailleurs le mot qu’elle a elle-même utilisé. Ses yeux brillaient, elle rayonnait. Je l’ai sentie bien dans sa peau, bien dans son corps, bien à tous points de vue.

La raison de cette métamorphose? Pour la première fois de son existence, elle n’avait œuvré qu’à son propre plaisir. Sans se préoccuper de ce qui adviendrait aux autres – son mari, ses enfants, sa famille, tout ceux dont elle se sentait redevable.

Une libération. Avec une complication supplémentaire. Que faire désormais de ce couple qui lui pèse plus qu’autre chose? L’envie de s’en débarrasser est claire. Freinée par la tentation de rester tranquille dans ses pantoufles. «J’aimerais le quitter», dit-elle à mots couverts, en substance, «mais d’un autre côté j’ai peur de me priver de la sécurité qu’il m’offre et dès que je songe à passer à l'acte, je lui trouve tout un tas de qualités. »

Nous sommes nombreux à privilégier les pantoufles du connu parce que nous craignons d’assumer le risque de l’inconnu, quand bien même nous savons que ce connu ne nous convient plus et que nous aurions tout à gagner à essayer ailleurs. Qu’il est préférable d’essayer, quitte à se tromper, plutôt que de regretter ensuite, lorsqu’il sera trop tard, de n’avoir jamais agi.

Mon vécu et celui de la femme de ménage sont d’apparence antithétiques. Pourtant nous nous retrouvons face à un choix identique: les pantoufles, ou la vie. J’ai choisi, malgré la peur que cela suppose, la vie. Plagiant une célèbre pub: l’existence est trop courte pour s’habiller mitigé.

J’espère pour elle que l’Italienne saura s’aventurer. Ou que sinon elle le vivra au mieux.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

tu l a bien analysée en tout cas!!
Pour son mari... même si elle y songe beaucoup... (a le quitter donc!!) je ne pense pas qu elle le fera tout de suite en tout cas... Elle est tellement adorable cette nana!! C'est dommage que son mari ne voit rien... mais bon... après tout les histoires de couples c'est jamais facile...
Mais je suis comme toi! j'espere sincerement qu'elle trouvera un bon moyen de s en sortir et d etre heureuse! quitte a se planter... au moins elle aura essayé!!
Kissouilles toi!!

12:12 PM  
Blogger Myriam said...

Je ne te cacherai pas, Mél, que je suis assez pessimiste au fond de moi la concernant. La force d'inertie qui l'empêche de passer à l'acte pour le moment est très puissante. Je connais bien la mentalité italienne du Sud pour y avoir (à moitié) grandi, je sais combien le "cocon" rassurant peut devenir paralysant dès lors qu'on a envie de s'en écarter. Dans son cas, elle ne doit pas seulement se confronter à elle-même, ni même seulement à son couple. Qu'elle choisisse de quitter son mari, c'est à l'entier de sa famille qu'elle devra se confronter - jusqu'au Xe degré. Avec les pressions culpabilisatrices que cela suppose. Donc non, ça ne sera pas facile... C'est d'autant moins facile qu'on avance en âge... Mais ce n'est pas peine perdue pour autant... Qui sait, peut-être qu'elle finira par éclore.

Gros bisouxxxxxxxxx

6:29 PM  

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