6/25/2007

On The Road

A en croire certains partis politiques, le développement personnel, c’est has been. A en croire ces partis, le trend du trend de la tendance, c’est la famille. «Brand new family», comme on disait outre-Atlantique fin des années 70 début des années 80. La panacée pour lutter contre tous les extrémismes – communisme et ses dérivés à gauche de la gauche – toutes les déviances – drogue et sexe et sexe et drogue. La panacée aujourd’hui encore pour lutter contre tous les extrémismes – droite et droite de la droite, gauche et gauche de la gauche – toutes les déviances – drogue et individualisme et nombrilisme et drogue.

A en croire ces partis, mais sans compter les développements génético-technologiques. Lassée du prosélytisme des spiritualités occidentales et du soi-disant non-évangélisme des spiritualités concomitantes. Lassée de leurs tentaculaires correspondances – et yoga et qigong et tai chi et bouffe macrobiotique et manuel chrétien à l’usage des automobilistes et hara hachi bu et kick boxing aerobic et comment faire son bonheur en 100 leçons et relaxation pour cadres stressés entre deux conseils administratifs et séminaire à la recherche du point G et botox et bistouri et stage sur les flancs de l’Himalaya et médium pour retrouver les méthodes naturelles de ma grand-mère.

Lassée, je m’en suis remise au net. Lassée, je suis tombée sur la perle rare.

www.myowngens.com

Cet institut très peu connu est établi à Boston, dans le Massachusetts. Il collabore étroitement avec le MIT, la NASA, et par contrats temporaires avec l’EPHZ de Zurich et l’EPFL de Lausanne.

N’y va pas qui veut. Si j’ai pu y mettre mon nez, c’est grâce à mon carnet d’adresses, mes contacts en tant que journaliste.

Que propose-t-il, ce site ? Rien de plus qu’un catalogue de vente à distance. Une nuance toutefois: on n’y choisit aucun accessoire. Ce qu’on y achète, c’est soi-même.

La démarche, dès lors que l’on possède les clés pour y pénétrer, est on ne peut plus simple. Il suffit d’entrer des paramètres aussi basiques que la date de naissance, la grandeur, le poids, l’affinement physique (couleur des yeux, des cheveux, teint de la peau, contours paramétriques…) et l’affinement psychologique (préférences multiples, culture oui ou non, arts oui ou non, sports oui ou non, hobbies oui ou non, relationnel oui ou non, professionnel oui ou non, etc…).

Il suffit d’entrer des paramètres personnels dans la banque de données, de mettre tout ça dans son panier, de payer grâce à sa carte de crédit et d’attendre les propositions de commande.

Je l’ai fait. Et voici les clones que j’ai reçus pour achat en retour.

Jack Kerouac. A passé la majeure partie de sa vie d’adulte partagé entre les grands espaces américains et l’appartement de sa mère. Paradoxe à l’image de sa vie: confronté aux changements rapides de son époque, il a éprouvé de profondes difficultés à trouver sa place dans le monde, ce qui l’a amené à rejeter les valeurs traditionnelles. Ses écrits reflètent cette volonté de se libérer des conventions sociales étouffantes de son époque et de sa quête d’un sens à son existence.

Martin Mickael Plunkett. A passé la majeure partie de sa vie à tuer sur la route pour échapper aux démons de son enfance. Pas d’excuse: froid, rigide, sans remord. Il n’offre pas le moindre espace à l’empathie On ne peut que l’imaginer sur la table finale, à recevoir dans ses veines la solution létale qui le châtiera au-delà. Et puis non. Ne serait-ce que parce que je ne souscris pas, ne souscrirai jamais, à cette peine inhumaine. Cette peine inhumaine qui correspondrait trop bien à celui qui la provoque, comme s’il fallait appliquer son bon vouloir, comme s’il fallait le reconnaître là où on n’a pas envie de le reconnaître. Au fil, on en vient à le comprendre petit à petit, à partager et désirer fuir ses cauchemars. On en vient, même si au fond de soi on freine des quatre pieds, à fraterniser avec lui. On en vient à plus que ça: on sent que l’on est son frère, pour ne pas dire que l’on est lui.

Entre Jack Kerouac, en proie au risque du non-sens, et Martin Plunkett, en proie au risque de l’anéantissement. Je me cherche.

Et j’aime à me dire, malgré mes 40 ans, que je ne relève ni des croyances occidentales, ni des croyances orientales, ni des développements génético-technologiques.

Que je ne relève ni de Jack Kerouac, ni de Martin Plunkett.

Et que si l’un et l’autre s’espacent en moi, je n’ai besoin d’aucun site, occidental, oriental, génético-technologique, pour me reconnaître.

Entière. Mafalda.

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Merci «On The Road» / Jack Kerouac – «Killer On The Road» / James Ellroy