11/10/2007

Maintenant je sais

On a beau savoir qu’on ne sait jamais tout, particulièrement quand on prend de l’âge – il y a toujours un moment où on se rend compte qu’on s’est laissé piéger, qu’on croyait savoir alors qu’on ne savait rien.

Progressivement après la mort de mon père, j’ai senti ma mère se diriger lentement mais sûrement vers l’idée de vendre leur maison commune pour acheter un appartement bien à elle. Trop de souvenirs, à la fois heureux et pénibles. Trop de présence tangible, de la cave au galetas, dans les moindres recoins. Trop de trop pour continuer à appliquer le désir sincère de se battre pour la vie, d’aller de l’avant malgré le manque et la douleur. Aussi, lorsqu’elle nous a annoncé, à ma sœur et à moi, qu’elle allait effectivement vendre, je n’ai pas été surprise. «Je le savais», me suis-je dit.

Quand, selon la loi suisse régissant les successions, j’ai dû donner mon accord signé, je n’ai pas hésité une seconde. Pour moi, c’était une évidence que ma mère demeure bénéficiaire de l’usufruit – pour ma sœur aussi, d’ailleurs. Je savais depuis des années, sans même y avoir songé concrètement, que je réagirais ainsi, quel que soit celui de mes parents qui s’en irait en premier. Je le savais, je le sais, et ça ne changera pas dans les ans à venir. Cette certitude-là est une vérité qui ne souffre aucune remise en question. Parallèlement, je comprends totalement les motivations de ma maman – je ne les comprends pas seulement rationnellement, je les comprends d’empathie. Mon père n’est plus là, hélas. Maintenant, tout ce que je souhaite, c’est que ma mère vive au mieux, je l’espère à nouveau heureuse avec le temps, dans un endroit où elle se sentira bien.

Ce n’est pas là que je me suis trompée. Là où je me suis trompée, c’est lorsque j’ai cru savoir que la vente de cette maison ne me toucherait pas. Non sans une certaine logique: j’avais depuis longtemps quitté le cocon familial, n’avais ni grandi ni vécu en ces lieux. Donc je me disais que cela ne me ferait ni chaud ni froid. J’en étais sûre, oui, au point de prétendre le savoir.

J’ai pu constater hier soir combien je m’étais leurrée. Pourquoi hier soir, précisément? J’y ai passé la nuit avec mon homme, et cette nuit était la dernière. Ma mère, question de place dans son futur appartement, a cédé sa chambre à coucher d’ami. La prochaine fois que nous dormirons chez elle, ce sera exclusivement «chez elle», plus «chez mes parents». Et, hier soir également, je lui ai rendu la clé de la maison, que je trimbalais partout avec moi, accrochée à mon trousseau. Hier soir, j’ai eu le sentiment, très puissant, de tourner une page, de clore un chapitre. J’ai eu le sentiment, pour exprimer les choses telles que je les ai ressenties, d’enterrer mon père une deuxième fois. Et ça m’a fait mal, terriblement mal, à milles lieues de ce que je croyais savoir.

Je souligne «le sentiment d’enterrer mon père une DEUXIÈME fois», non une «seconde». Parce que je sais, et là malheureusement je ne crois pas me tromper, qu’il y en aura d’autres, de ces enterrements rituels. Qui accompagneront l’entier du processus de deuil.

La nostalgie de cette maison s’estompera petit à petit, je cesserai de trouver intolérable que d’autres, des «étrangers», y habitent. Les souvenirs de ce qui a été de lumineux prendront le dessus de l’absence et de ce qui n’est plus. Je me réjouis, et me réjouirai encore plus, de partager d’autres bons moments avec ma maman dans son appartement, base de nouveaux souvenirs. Sachant – si, si – que mon papa ne souhaiterait pas différemment pour nous.

Ce que j’ai tiré de hier soir, c’est une importante leçon. De celles que l’on croit, trop souvent et à tort, savoir: on ne sait jamais rien d’un vécu avant de l’avoir vécu.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

D'où ma petite question de l'aitre soir! ;o)
En fait... JE me demandais comment moi je réagirai lorsque j'apprendrai que mon "géniteur" n'est plus de ce monde... Bien que c'est lui qui m'a donné la vie, je peux le remercier que de ça... Il a été quelqu'un de passager dans ma vie... Quelqu'un qui partageait sa vie avec ma mère mais que moi, j ne connaissais pas vraiment... Mais... Ca reste, malgré tout les ressentiments que j ai pour lui, mon père... Je me suis toujours dit que ça ne changerai en rien mon quotidien étant donné que même maintenant il n'est plus là pour moi... Enfin bref.... Je pense que quoi qu on puisse renssentir c est toujours malheureux de perdre qqun... mais pour ma part j aurai plutot l impression de l enterrer une seconde fois meme si je ne tiens pas a etre présente ce jour la!!
Breffff... En tout cas tres touchant ce billet! Et... je comprends aussi le choix de ta maman... Pas évident d aller de l avant et de pouvoir se reconstruire dans une vie de.. souvenirs...
Je lui souhaite de tout coeur une nouvelle vie super :o) meme si ca ne sera pas tous les jours facile...
Et toi... te fais un enoooooooooooooooooooooooooooorme kissouille!! (^_^)

12:23 PM  

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